La reprise de l’épidémie nous fait craindre des dommages collatéraux. Car la prise en charge des patients Covid-19 a pris le dessus sur tout le reste… avec un risque d’aboutir à un drame.
Par Pr Houcine Maghrebi *
«Il y aura des dommages collatéraux»… «Il faut éviter les pertes de chances pour les patients non Covid»…
Je n’aime pas vraiment m’exprimer publiquement. Mais la situation alarmante et les prises de décisions unilatérales nous poussent à tirer la sonnette d’alarme !!
Notre inquiétude est grande car nous avons beaucoup de patients fragiles qui nécessitent des soins pour des pathologies plus graves que la Covid-19.
La reprise de l’épidémie nous fait craindre des dommages collatéraux. La prise en charge des patients Covid-19 a pris le dessus sur tout le reste… avec un risque d’aboutir à un drame.
Un condensé de populisme et d’amateurisme confus
Face à ce défi sanitaire sans précédent, la gestion de la pandémie même à l’échelle mondiale ressemble à un condensé de populisme et d’amateurisme confus et autoritaire. Et pour cause : le manque de consultation des experts de différents domaines, le déni de la réalité déplorable de notre système de santé, les décisions unilatérales et court-termistes, et surtout l’ego surdimensionné de certaines personnes auto-déclarées experts décideurs qui nous font la sourde oreille! Et dont la seule hantise est devenue le nombre de lit oxygène ou de réa qui sera annoncé aux journaux et aux plateaux de télévision !
Notre inquiétude est grande car nous avons beaucoup de patients fragiles qui nécessitent des soins pour des pathologies aussi graves que la Covid-19.
La pandémie n’arrête pas les accidents de la voie publique (nos routes sont parmi les plus meurtrières au monde), les cancers (deuxième cause de décès dans le monde), les urgences chirurgicales de tous genres…
Hausse des taux des pathologies compliquées
Lors de la première vague, des chirurgies électives étaient annulées ou reportées, afin d’offrir des lits aux patients infectés. Quand notre de service de chirurgie de l’hôpital de La Rabta à Tunis avait récupéré l’activité des services de chirurgies réquisitionnés pour cause de Covid, on avait été submergé par des pathologies diagnostiquées ou traitées à un stade tardif : lithiases simples devenue cholécystites, des hernies devenues étranglées, des malades cancéreux à des stades avancés… Nous avions fait face à des taux des pathologies compliquées dont les conséquences étaient graves : péritonites, chocs septiques, gangrènes…
A ce jour, on n’a pas encore rattrapé le retard d’opérations du printemps… Si on doit de nouveau les annuler faute de places suffisantes en réanimation, on commence à rentrer dans la perte de chance pour nos malades. Et ca s’appelle faire du tri parce qu’on ne compte que les dégâts Covid à la télé !
Ailleurs aussi, lors de la première vague, des milliers de patients ont vu leurs actes chirurgicaux déprogrammés en raison de l’épidémie. D’après une étude menée par le groupe CovidSurg Collaborative dont on était un des acteurs, la Covid-19 aurait engendré le report de plus de 28 millions d’interventions chirurgicales à travers le monde suite à l’interruption de 12 semaines de l’activité hospitalière, au profit de l’accueil des malades de la Covid-19. De même, d’après une étude publiée dans le British Journal of Surgery, chaque nouvelle semaine d’interruption des services hospitaliers entraînerait 2,4 millions de nouvelles annulations.
L’état critique du secteur de la santé publique complique la situation
Les soignants avaient alerté à maintes reprises que nos hôpitaux végétaient dans un état déplorable comme jamais vu ! Que l’état critique du secteur de la santé publique ne faisait qu’empirer depuis une dizaine d’années et que l’endettement des hôpitaux publics (exemple du CHU La Rabta) entravait le fonctionnement et même la sécurité des différents intervenants… Malheureusement, on sent que la santé ne semble pas représenter une priorité absolue, notamment avec la compression budgétaire d’année en année.
À ce niveau, force est de rappeler que les défaillances existent à plusieurs niveaux: des défaillances au niveau de l’infrastructure, de l’équipement, des ressources humaines, des médicaments… Que si on a choisi de rester en Tunisie et de continuer à lutter pour préserver le secteur de santé publique, on ne peut en aucun cas accepter de mettre en péril la vie de nos malades…
* Professeur agrégé en chirurgie viscérale, secrétaire général adjoint de la Société Tunisienne de chirurgie laparoscopique.
Donnez votre avis