L’accident tragique de la chute dans la cage d’ascenseur d’un hôpital public, qui a coûté la vie à un jeune médecin, Badreddine Aloui, est un drame terrible pour la communauté médicale ainsi que pour l’ensemble des Tunisiens qui déplorent la perte d’un médecin dont la seule ambition était de sauver la vie de ses concitoyens. Face à ce drame, tout le corps médical s’est révolté et a exprimé sa profonde indignation lors d’une journée nationale de colère, le lundi 8 décembre 2020.
Par Dr Kaissar Sassi *
Cet accident est une autre preuve, parmi tant d’autres, de la décadence du secteur de la santé publique en Tunisie. Une décadence qui s’aggrave de jour en jour malgré les signaux d’alarme tirés par le personnel soignant ces dernières années.
Nous n’apportons rien de nouveau en rappelant que cet accident est le troisième d’une série de chutes dans les ascenseurs des hôpitaux publics tunisiens. Le premier était également mortel et le deuxième avait causé des préjudices physiques graves. Nous constatons aussi que l’hôpital de Jendouba est un exemple de mauvaise gestion hospitalière, un véritable fléau qui, malheureusement, n’épargne aucun hôpital public sur l’ensemble du territoire national.
En effet, plusieurs problèmes techniques s’accumulent depuis des années, auxquels s’ajoute l’absence d’un dispositif d’entretien et de maintenance convenable. À titre d’exemple, nous pouvons citer la défaillance du système de chauffage central du même hôpital à Jendouba, en panne depuis quatre années, rendant les conditions d’hospitalisation insupportables pour les patients pendant le froid hivernal.
Des chantiers d’entretiens d’extrême urgence
Depuis le début de la crise pandémique mondiale de la Covid-19, tous les pays du monde ont pris conscience de l’importance d’une infrastructure sanitaire et hospitalière robuste et suffisamment adaptée et ils ont commencé à entreprendre des plans d’amélioration de l’infrastructure sanitaire.
En Tunisie, lors de la première vague, un téléthon a permis de collecter une somme d’environ 200 millions de dinars. Il a été décidé par les autorités responsables de dépenser environ 52 millions de dinars de cette collecte pour l’achat d’ambulances et de camions de transport des médicaments. Une dépense qui nous semble inappropriée au regard de l’infrastructure hospitalière du pays et des chantiers d’entretiens d’extrême urgence qui s’imposent. En effet, ce budget aurait permis d’entretenir la quasi-totalité des hôpitaux tunisiens et d’assainir une situation extrêmement grave, qui ne devrait pas durer plus longtemps sous peine de constituer un danger imminent pour la santé et la sécurité des patients ainsi que du personnel soignant.
Pour espérer sauver le secteur de santé, il ne faut plus avoir la crainte de nommer les défaillances et de pointer du doigt les aberrations de la gestion hospitalière dans son ensemble. Qu’en est-il de l’exode des médecins ? 5000 médecins ont quitté le pays en 9 ans. Qu’en est-il des déserts médicaux ? Les hôpitaux dans plusieurs gouvernorats ne disposent pas des médecins spécialistes en obstétrique et en réanimation. Qu’en est-il de la pénurie des médicaments ? Qu’en est-il de la faillite des caisses d’assurances ? Qu’en est-il du projet de loi sur la responsabilité médicale ? Qu’en est-il de l’insécurité dans les hôpitaux ?
Journée nationale de colère des professionnels de la santé, le lundi 8 décembre 2020.
On dit que la santé n’a pas de prix mais qu’elle a un coût. En Tunisie, la médecine n’a ni prix ni coût. À l’heure actuelle, aucune décision politique ne nous inspire confiance concernant le destin de ce secteur pourtant réputé pour son développement à l’échelle africain, mais ce glorieux passé devient lointain jour après jour et le secteur se trouve aujourd’hui en déperdition totale.
N’attendons pas un autre drame pour réagir
Au-delà du constat d’une situation dramatique, nous espérons vivement que le secteur de la santé en Tunisie puisse être sauvé. Ce pourquoi, le panel de médecins tunisiens dans le monde souhaiterait proposer au gouvernement, dans un premier temps, de faire réaliser, par un organisme indépendant, un audit de tous les hôpitaux afin de connaître les vrais problèmes en toute objectivité. La sauvegarde du secteur de la santé, synonyme de préservation de la santé des Tunisiens, passe obligatoirement par cette étape primordiale.
Il est urgent d’agir rapidement et efficacement, et sans attendre un autre drame, afin de garantir le minimum d’accès digne aux soins les plus vitaux à tous les citoyens. Ce qui requiert incontestablement d’assurer la sécurité la plus basique dans l’ensemble des hôpitaux publics et de garantir des conditions de soins dignes.
Honorons la mémoire de ceux qui ont voulu consacrer leurs vies à sauver celles des autres. Agissons pour que cela ne se reproduise plus jamais dans notre pays, il en va de la vie de chacun d’entre nous.
* Anesthésiste-réanimateur.
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