M. Kais Saied, vous êtes président de la république et aussi un témoin des scènes de violence hebdomadaires au sein de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). Si vous êtes garant de la Constitution, vous êtes aussi garant de la sérénité et de la pérennité des institutions. Alors qu’est-ce que vous attendez pour dissoudre cette assemblée si décriée? Un drame?
Par Helal Jelali *
Ce n’est écrit nulle part, mais certains Tunisiens bien installés et même ceux de la petite classe moyenne commencent à préparer leurs valises pour déguerpir. «Ça commence à sentir le roussi», disent-ils. N’en parlons pas des milliers d’immigrés retraités revenus définitivement en Tunisie, et écœurés par ce qui s’y passe, et qui, l’angoisse au ventre, se sont déjà réinstallés à nouveau dans les pays européens. L’air est devenu irrespirable et votre peuple n’en peut plus…
Un vieux chauffeur de taxi de 82 ans, obligé de travailler à cet âge, m’avait dit cette semaine : «Qu’ils pillent, qu’ils se chamaillent, mais qu’ils n’engagent pas le pays sur la voie syrienne, parce le pays est devenu la Syrie sans les armes». C’est le sommet du désespoir.
La cohésion nationale est gravement menacée
Le plus grave, ce ne sont pas la faillite économique ou la corruption endémique et presque banalisée, mais l’émergence d’une minorité – islamiste pour être clair – qui voudrait fonder «une contre-société» et «une rupture culturelle». Une vraie menace pour la cohésion nationale.
Nous sommes dans le scénario de la «Troïka», la coalition dominée par les islamistes d’Ennahdha ayant gouverné le pays de janvier 2012 à janvier 2014, avec une crise financière aiguë en plus.
Un climat de peur diffuse commence à gangrener la vie sociale. De la peur à la résignation, et votre voix ne serait plus audible, monsieur le président… Aucune voix ne serait perceptible quand la violence politique et physique domine dans les institutions républicaines. Votre stratégie, qui consiste à être au-dessus de la mêlée, est-elle toujours tenable ? Vos électeurs et même les autres commencent par en douter.
Le plus grand risque pour un politique est d’être dépassé par les événements, par l’accélération des agendas et par la paralysie de son action. Les constats, les diagnostics, et même l’«IRM» de la Tunisie sont clairs comme l’eau de roche. En médecine, on dit que nous sommes devant «un noyau enkysté».
Vous êtes spécialiste en droit constitutionnel, donc vous savez que vous disposez de trois sorties de crise, inutile de vous les rappeler…
Les paroles n’ont plus de sens devant une telle situation. L’enlisement pourrait devenir facilement incontrôlable pour tous.
«Attention, sous les cendres, il y a des braises», disait Chebbi
Goethe, féru de poésie, mais aussi de politique, conseillait à ses contemporains d’«être diligents pendant qu’ils sont éveillés». Je n’oublie pas que vous préférez la littérature arabe classique, donc je vous laisse réfléchir sur cette phrase d’Abou El-Kacem Chebbi : «Attention, sous les cendres, il y a des braises». C’est «l’effet papillon» dont les conséquences ne sont pas prévisibles.
Âgé et malade, votre humble serviteur commence à préparer ses valises pour repartir dans le pays où il avait vécu 42 ans avant de rentrer passer sa retraite dans sa Tunisie natale. Et je ne suis pas le seul à y penser…
Le bien-être du citoyen est aussi un droit, monsieur le président de la république. C’est l’esprit de l’article 6 de la Constitution qui le stipule. Il n’est pas vrai que cette constitution vous condamne à l’immobilisme. Le statu quo observé par l’ancien président Béji Caid Essebsi était synonyme d’impuissance.
* Ancien journaliste basé en France.
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