La Covid-19 a fait, à ce jour, 10.000 morts en Tunisie. Il s’agit du franchissement d’un cap symbolique : c’est effroyablement 200 fois plus de pertes de vies humaines que ce que notre pays a connu durant la première vague de la pandémie. Aujourd’hui, nous en sommes à la 3e ou 4e vague et l’espoir d’une sortie proche est, avouons-le, très mince. Youssef Chahed est venu rappeler aux décideurs qui lui ont succédé qu’il est urgent de mettre de côté, pendant les 2 ou 3 prochains mois, les différends qui les séparent et de se concentrer sur l’essentiel : sauver les Tunisiens, leur pays et leur économie… Une fois l’épreuve sanitaire surmontée, le reste se réglera… Vidéo.
Par Marwan Chahla
Tard dans la soirée d’hier, jeudi 22 avril 2021, Youssef Chahed, dans une vidéo postée sur son compte Facebook, après trois mois de discrétion depuis sa dernière sortie médiatique, est venu rappeler qu’un temps d’arrêt s’impose pour que l’on puisse avoir une pensée pour les Tunisiennes et les Tunisiens qui ont succombé au maudit virus, pour que l’on admette nos impréparations, pour que l’on reconnaisse les erreurs que nous avons commises dans la gestion de cette crise et pour que l’on dise à tous ceux et à toutes celles qui nous ont quittés que nous ne les oublierons pas et qu’on leur promette que nous ferons mieux…
«Les acteurs politiques en sont restés aux dernières élections»
En effet, en un an, les choses ont très vite changé de dimensions et pris une tournure des plus tragiques. Dix mille morts, c’est là toute l’étendue et l’ampleur de ce drame que vit notre pays aujourd’hui. Ce chiffre est un seuil symbolique qui nous dit que ce virus n’est pas une maladie comme les autres et que ce que certains qualifiaient de «petite grippette» est devenu un monstre qui a tué plus de trois millions de personnes à travers le monde et qu’il en tuera plein d’autres… avant de disparaître.
Pour Youssef Chahed, ce chiffre des 10.000 victimes de la Covid-19 dit «quelque chose» sur la manière dont les autorités tunisiennes ont géré cette crise sanitaire : «les acteurs politiques en sont restés au même point depuis deux ans, c’est-à-dire au sortir des dernières élections présidentielle et législatives. Nous en sommes toujours là. Pire encore, nous avons certainement régressé.»
L’ancien locataire du Palais de la Kasbah dont le gouvernement avait eu à gérer, et plutôt avec succès, les premières semaines de cette crise sanitaire, s’indigne : «Le pays a essayé tous les scénarii possibles et toutes les combinaisons politiques imaginables : il y a eu un premier essai avec le gouvernement de Habib Jemli, puis un second, avec celui d’Elyes Fakhfakh, et un troisième gouvernement, celui actuellement dirigé par Hichem Mechichi. Mais rien n’y a fait pour assurer la stabilité politique nécessaire et pour qu’une équipe gouvernementale mette véritablement en œuvre les mesures et les réformes dont le pays a besoin de toute urgence.»
L’ancien chef du gouvernement dont, rappelons-le, la mandature (du 27 août 2016 au 27 février 2020) a été la plus longue depuis le soulèvement du 14 janvier 2011, fait ce constat amer : «Toutes les intermédiations et toutes les initiatives visant à débloquer la situation ont échoué et la compétition de la saine confrontation des idées et des programmes s’est transformée en une crise profonde où l’essentiel du débat politique se focalise sur le refus de l’Autre, sur le rejet de l’adversaire et l’exclusion des uns et des autres. Bref, se désole Youssef Chahed, nous n’assistons plus qu’à des tiraillements, à des éparpillements et à des divisions dont découle l’oubli involontaire ou l’omission voulue de l’essentiel, c’est-à-dire les ravages causés par la Covid-19 sur plus d’un plan.»
Et pourtant, la possibilité du rebond existe…
«L’essentiel, pour Chahed, ce sont ces 10.000 décès que la Tunisie a enregistrés au cours de l’année écoulée. Ce sont ces vies tunisiennes perdues injustement; ce sont ces malheurs qui se sont abattus sur les familles tunisiennes, c’est le drame engendré par le départ d’un père, d’un époux, d’un membre de la famille, d’un ami que l’on ne verra plus et auquel on ne rendra pas un dernier hommage comme il se doit…»
Et Youssef Chahed frappe fort en dénonçant «un Etat tunisien qui n’a trouvé rien de mieux à faire que de changer 4 fois de ministre de la Santé, et un gouvernement qui a trop tardé à prendre conscience de l’ampleur de la 2e vague de la pandémie». Et en s’alarmant que «le système hospitalier de notre pays soit au bord de la rupture» et que «la population tunisienne, estimant l’été dernier que le pays s’est tiré d’affaire, ait presque oublié que l’on est toujours en pleine crise sanitaire et que la Covid poursuit ses ravages.»
Pourtant, en dépit de tout cela, de toutes ces contrariétés, l’ancien chef du gouvernement ne perd pas espoir. Il croit dur comme fer que la Tunisie peut se ressaisir et rebondir. Pour appuyer ses propos, il cite le ministre de la Santé, Faouzi Mehdi, selon lequel «la Tunisie a la capacité d’inoculer quotidiennement environ 280.000 doses de vaccin anti-Covid.» Le calcul, selon Youssef Chahed, est facile à faire : «Il suffit de s’y mettre sérieusement et, au bout de 2 ou 3 mois, nous en serons sortis, avec nos 2.000 centres de soins essentiels, nos 2.500 pharmacies et notre système vaccinal dont l’excellence est reconnue mondialement.»
Bien plus de raisons pour positiver, selon Chahed, «la Tunisie a encore les moyens financiers de se procurer les doses de vaccin dont elle a besoin. Certes, les temps sont difficiles, mais il ne s’agit pas d’une faillite totale.»
Tout en sonnant l’alerte, l’ancien chef de gouvernement appelle, tout simplement, au réveil et à la mobilisation générale : «Qu’on se ressaisisse et l’on pourra repartir du bon pied. Que chaque Tunisien, à l’intérieur comme à l’extérieur, pense à son pays et qu’il fasse quelque chose pour lui… et nous nous en ressortirons.»
Les Kaïs Saïed, Rached Ghannouchi, Hichem Mechichi…, les Ennahdha, Qalb Tounes, Attayar, Echâab, Al-Karama et autres formations écouteront-ils cet appel à la raison ? Sauront-ils placer les priorités urgentes du peuple et du pays au-dessus de leurs étriqués calculs politiciens ? Accepteront-ils de se soumettre à une trêve de «2 à 3 mois», le temps pour la Tunisie de sortir la tête de l’eau ?
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