On peut ne pas aimer Hichem Mechichi, critiquer ses politiques, exécrer ses alliances et vouer son gouvernement aux gémonies (et, à Kapitalis, nous ne sommes pas tendres avec lui, et c’est un euphémisme). On doit, cependant, avoir de véritables griefs à lui reprocher et ne pas faire feu de tout bois, car à trop souhaiter son échec, au point de l’accabler injustement, c’est à la faillite de la Tunisie que nous risquons de courir, tous tant que nous sommes, étant embarqués sur un même bateau, dont il est, aujourd’hui, et par un curieux concours de circonstances, le timonier.
Par Imed Bahri
J’écris ceci en pensant aux critiques injustes dont M. Mechichi fait l’objet ces derniers jours sur les réseaux sociaux à propos de deux sujets : le dîner d’iftar, samedi 8 mai 2021, dans un hôtel de la banlieue nord de Tunis auquel le chef du gouvernement a invité un groupe de journalistes, et l’inauguration, hier, lundi 10 mai, du siège de la société tunisienne Coficab, du groupe Elloumi, spécialisée dans la fabrication de câbles automobiles, dans la ville de Guarda, au Portugal.
Evolution des relations entre médias et acteurs politiques
Je me permets d’écrire sur le premier sujet d’autant que le directeur de Kapitalis, Ridha Kefi, et sa rédactrice en chef, Zohra Abid, ont été invités au dîner d’iftar de M. Mechichi et ont décliné l’invitation. Et j’écris sur ce sujet pour déplorer la manière dont il a été traité par plusieurs analystes et intellectuels qui y ont vu une tentative de la part du chef du gouvernement de soudoyer les journalistes invités et de les mobiliser en faveur de son gouvernement.
Cette vision est pour le moins étriquée et totalement ignorante de l’évolution des relations entre les médias et les acteurs politiques, en Tunisie comme partout dans le monde.
D’abord, nous ne vivons plus, depuis 2011, sous un pouvoir personnel ou autoritaire qui contrôle directement ou indirectement les médias, en recourant à la méthode de la carotte et du bâton, c’est-à-dire de l’intéressement sonnant et trébuchant et de la menace de représailles. L’Agence tunisienne de communication extérieure (ATCE) de triste mémoire, qui avait la charge de cette mission dans les années 1990 et 2000, n’existe plus et il ne viendra aujourd’hui à l’esprit d’aucun acteur politique d’essayer de soudoyer des journalistes ou de les intimider, la corporation des plumitifs étant désormais jalousement attachée à sa liberté et à son indépendance. Elle a même parfois tendance à en faire trop en critiquant les décisions et les positions de tel ou tel dirigeant politique.
Sur un autre plan, ce genre de rencontres informelles des hauts responsables politiques avec les représentants des médias est une pratique courante dans le monde entier et, surtout, dans les pays démocratiques. Car malgré leur apparente proximité, journalistes et politiciens n’ont pas toujours l’occasion d’avoir des discussions informelles et franches (en off comme on dit dans le métier) sur les sujets qui ne sont habituellement pas évoqués lors des conférences de presse, des talk-shows ou même des entretiens, et c’est à cela que servent les dîners de travail.
En France, aux Etats-Unis et dans beaucoup d’autres pays démocratiques, les présidents prennent souvent leurs petits-déjeuners, déjeunent ou dînent avec des journalistes, et ces réunions n’engagent en rien aucune des deux parties. Elles permettent seulement de clarifier certaines ambiguïtés et de lever des équivoques que le traitement de l’actualité quotidienne ne manque pas d’alimenter.
Les opérateurs privés qui réussissent à l’étranger sont la fierté de leur pays
Concernant le second sujet, nous tenons à rappeler ici que le rôle d’un dirigeant politique n’est pas de museler l’initiative privée, au prétexte de lutter contre la corruption, comme le laisse entendre une certaine idée malheureusement dominante aujourd’hui en Tunisie. Son rôle est plutôt de créer les meilleures conditions pour le développement de l’initiative privée, car ce sont les opérateurs économiques qui créent les richesses et les emplois et alimentent – par l’impôt versé régulièrement – les caisses de l’Etat, et plus ils sont prospères plus l’Etat est en mesure d’honorer ses engagements envers la population, en matières de mobilité, de transport public, d’éducation ou de santé.
Aussi le fait que M. Mechichi ait tenu à inaugurer lui-même le siège de Coficab, fleuron de l’industrie tunisienne, qui dispose d’usines à l’étranger, notamment au Maroc, en Roumanie, en Egypte et au Portugal, n’a rien de louche ni de répréhensible. On aimerait même le voir se déplacer plus souvent à l’étranger pour accompagner les opérateurs tunisiens qui réussissent par leur seul labeur et honorent leur pays partout où leurs affaires les amènent.
Alors trêve de démagogie gauchisante ! La Tunisie ne va pas continuer à se sur-endetter auprès des bailleurs de fonds étrangers pour payer les salaires et subvenir aux besoins de ses populations. Elle doit compter plutôt sur le fruit du labeur de ses enfants et accompagner ces derniers dans leurs aventures entrepreneuriales partout dans le monde. Et dans ce contexte, on doit se féliciter de la réussite des Elloumi, un groupe familial qui emploie des dizaines de milliers de salariés à travers le monde et dont on espère qu’il poursuivra son développement et son déploiement à l’international, car sa réussite sera aussi celle de 11 millions de Tunisiennes et de Tunisiens.
Donnez votre avis