La Tunisie multiplie les institutions publiques d’appui et leurs représentations à l’étranger pour des résultats pour le moins mitigés. Ce système, coûteux et peu rentable, devrait être révisé dans le cadre des réformes envisagées du modèle économique en vigueur, qui a beaucoup perdu de sa vigueur et n’est plus capable de produire le niveau de croissance requis pour la création de richesses et d’emplois. Un autre chantier urgent qu’il faut avoir la détermination et le courage de mettre en route…
Par Mokhtar Chouari *
Au début des années soixante-dix, la Tunisie, consciente de sa vocation internationale, a commencé par placer ses représentants à l’étranger pour une meilleure visibilité qui rende justice à ses autres atouts économiques et humains passés jusque-là sous silence à cause du très prépondérant atout touristique. API, Cepex, ONTT, ATCT, OTE, Tunisair, Fipa et plus tard ATCE (jusqu’à 2010) se sont empressés à ouvrir des représentations à l’étranger pour appuyer techniquement, chacun selon ses compétences, les missions diplomatiques, premiers responsables du marketing de la Tunisie à l’étranger.
Un appel d’offres lancé par le Centre de promotion des exportations (Cepex), encore visible sur son site web, bien que la date limite de la réception des offres soit dépassée, fait part de la volonté de cet organisme public en charge de faire voyager les produits tunisiens en dehors des frontières de recruter un consultant «pour l’élaboration d’une étude pour le redéploiement et l’élargissement du réseau des représentations du Cepex à l’étranger». Quelques semaines auparavant, le DG de l’Office national du tourisme tunisien (ONTT), un autre organisme public en charge de faire venir des touristes en Tunisie pour se détendre contre paiement en devises, répondait, dans une interview radio, à une question en rapport avec le regroupement des représentations de promotion de la Tunisie à l’étranger.
Le marketing d’un pays à l’étranger ne supporte pas le morcellement des missions
Autant le Cepex paraît agir en harmonie avec ses prérogatives et le souci qui le préoccupe afin de mieux faire et de donner plus d’efficience à ses antennes, autant l’ONTT est loin d’être à l’aise pour répondre à une question dont tout le monde parle depuis des décennies mais que personne n’a osé mettre sur son agenda. Suédois, Français, Portugais et autres ont pourtant franchi le pas et fini par se dire que l’image économique d’un pays ne supporte pas autant de morcellement.
D’ailleurs un projet de fusion physique entre les bureaux de l’ONTT et ceux de Tunisair à l’étranger, lancé à l’occasion du passage de l’un des ministres par le département du tourisme, n’a jamais vu le jour. Pourtant ONTT et Tunisair sont inscrits dans une complémentarité irréprochable. Le premier vend la destination Tunisie et le deuxième assure le transport vers cette même destination.
Une autre actualité dans le même registre, la campagne citoyenne sur Facebook pour la liquidation des représentations de l’OTE à l’étranger et la réaffectation de son budget de 40 millions de dinars au financement des petits projets.
Quelques mois auparavant, à la de fin 2019 et 2020, Fipa Tunisia, le bras armé de la Tunisie pour l’attraction des investissements étrangers a fermé trois de ses bureaux à l’étranger dont le plus ancien, celui de Bruxelles, et les plus jeunes, ceux d’Ankara et de Doha. Le premier aura mis la clé sous le paillasson quarante ans après son inauguration alors que les deux autres ont cessé d’exister juste cinq ans après leur ouverture en grande fanfare. Sur les deux derniers pays, on est bien dans un cas de stérilité avérée ce qui rend insensé la poursuite de leur mission, que l’on peut estimer couteuse et peu rentable en l’absence de communication officielle sur les raisons de leur fermeture.
Sur une autre partie de la planète Tunisie, la Jeune Tunisian Investment Authority (TIA), à qui on a confié la prise en charge, l’encadrement et l’assistance des projets dont le montant d’investissement dépasse les 15 millions de dinars, n’exclut pas l’ouverture de bureaux à l’étranger dans un souci de se rapprocher de ses clients et pourquoi pas aller carrément les identifier et les intéresser à la destination Tunisie.
Tout récemment le président de la république, Kaïs Saïed, déclarait à une chaîne de télévision française à diffusion internationale que le climat des investissements en Tunisie «n’est pas aussi encourageant». Le chef du gouvernement, Hichem Mechichi, déclarait, à son tour, à Tripoli, la capitale libyenne, que «les autorités tunisiennes œuvreront à aplanir les entraves artificielles rencontrées par les investissements libyens en Tunisie».
Si l’on rajoute à tout cela ce que pourrait dire les chambres de commerce tunisiennes, chambres mixtes, APII, Apia, syndicats patronaux et autres experts, quant à la problématique de la promotion de l’investissement étranger en Tunisie, pour impulser la croissance et l’emploi, dans un contexte de grande crise économique, il est clair que l’on finira par avoir autant de représentations que d’intervenants. Ceci intervient près de 50 ans après la création de l’APII comme vis-à-vis unique de l’investisseur et l’installation en son sein du guichet unique, point focal de l’investisseur en phase de création de son entreprise.
Le silence radio serait moins préjudiciable que la cacophonie actuelle
Face à tout cela, monsieur tout le monde, qu’il soit Tunisien ou étranger, est en droit de penser que la machine de l’investissement étranger en Tunisie est à l’arrêt, que l’image de la Tunisie à l’étranger est plus que brouillée par ses enfants et gouvernants, et que la sur- représentativité de la Tunisie à l’étranger par autant de structures techniques, et ce en plus des missions diplomatiques dont on ne cesse de souligner le rôle en matière de diplomatie économique, a fini par diviser la Tunisie en petits morceaux qui ont de moins en moins d’impact sur la promotion de l’image que le pays donne de lui-même à l’étranger.
Les connaisseurs n’hésitent pas à signaler l’urgence d’un silence radio qui serait plus clément pour la Tunisie que cette cacophonie de représentations, d’images et de discours. Si on n’arrive pas encore à se mettre d’accord sur une même définition des priorités de ce pays et de sa population en matière d’investissement et du coup avancer les pours et les contres en fonction, le silence radio serait plus judicieux, ou du moins préjudiciable, que la cacophonie actuelle.
Le Cepex, en éclaireur comme il a su toujours se comporter, aura le mérite d’avoir ouvert la voie à une étude empirique pour réviser le positionnement de ses antennes à l’étranger. Ce serait aux autres institutions d’appui ou même à la présidence du gouvernement d’étudier l’efficacité ou l’inefficacité de toutes les représentations de la Tunisie à l’étranger et d’identifier une formule qui tienne compte des complémentarités possibles et mette fin aux absurdités constatées. À cet égard, les Suédois, qui ont tout fait fusionner en une Business Sweden, pourrait servir de référence (même population et mêmes soucis).
* Ancien fonctionnaires de trois parmi les agences d’appui citées dans l’article.
Article du même auteur dans Kapitalis :
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