Le ministère de la Justice a annoncé hier, lundi 28 juin 2021, la nomination d’un nouveau directeur général à la tête du Comité général des prisons et de la rééducation (CGPR). Cette décision vient à point nommé même si par son timing elle ne serait pas étrangère à la conférence virtuelle entre le chef du gouvernement Hichem Mechichi et la sous-secrétaire d’Etat américaine Wendy Sherman, au cours de laquelle la question des droits de l’homme en Tunisie a été soulevée. Est-ce là un signal envoyé à nos partenaires internationaux soulignant l’intérêt porté par le gouvernement tunisien à ce sujet ?
Par Raouf Chatty *
En tout état de cause, la situation des droits de l’homme dans un pays qui se targue d’être une jeune démocratie est pour le moins préoccupante. Elle a fait l’objet au cours des derniers mois de rapports médiatiques et de requêtes d’associations tunisiennes et d’organisations internationales de défense des droits de l’homme. Ces dernières se sont plaintes notamment que beaucoup de personnes en détention préventive croupissent en prison depuis de nombreux mois voire plusieurs années en attendant d’être jugées, souvent pour des délits mineurs, comme la consommation de drogue.
Plus récemment, l’empêchement de Imed Trabelsi, condamné à plus de 100 ans de prison dans des affaires de corruption, d’assister à l’enterrement de son père, alors qu’il y était autorisé par le juge, a suscité une vague d’émotion et d’indignation dans tout le pays dont les autorités carcérales ont été la cible. On a vu dans cette décision inhumaine, justifiée officiellement par de vagues considérations sanitaires, une forme de vengeance politique, le concerné étant un neveu de Leila Trabelsi, l’épouse de l’ancien président Ben Ali.
La situation actuelle n’a rien à envier à celle d’avant 2011
En dix ans, plus de cinq directeurs généraux se sont succédé à la tête du CGPR sans que l’on ait constaté une amélioration de la situation dans les prisons. La société civile a continué à déplorer les mauvaises conditions de détention, la surpopulation carcérale et même des cas de mauvais traitements et même d’actes de torture, autant d’atteintes à l’intégrité physique et morale des personnes privées de liberté, au mépris de la réglementation tunisienne des droits de l’homme et celles relatives aux prisons et aux conventions internationales afférentes, ratifiées par l’Etat tunisien mais non vraiment respectées.
À ce jour, nous ne savons pas si une évaluation objective a été faite par les pouvoirs publics des résultats de la politique pénale et carcérale mise en œuvre au cours des dix dernières années dans un pays qui réclame son appartenance au club des pays démocratiques. Mais l’impression dominante qui se dégage est que la situation prévalant aujourd’hui n’a rien à envier à celle qui existait avant la révolution de janvier 2011. La situation est même, par certains aspects, plus grave aujourd’hui qu’elle l’a été dix ans auparavant et les conditions d’incarcération sont tellement dégradées (surpopulation, manque de personnel et de moyens, etc.) que l’on craint de voir augmenter le nombre de prisonniers menacés par la pandémie de Covid-19…
Les partenaires internationaux s’interrogent sur le sort de leurs aides
Face à cette situation, il devient extrêmement urgent et impératif que les pouvoirs publics, parlement et exécutif, évaluent très sérieusement ce dossier vital à tous points de vue, en particulier au regard des résultats des programmes financés à gros sous par des instances internationales, notamment européennes et américaines, dans le cadre de projets relatifs à la justice et à la politique pénale en Tunisie.
Bref, ce sujet extrêmement sensible ne doit pas être négligé au prétexte que le pays fait face à d’autres urgences et mérite d’être traité avec un minimum d’imagination et en sachant sortir des sentiers battus…
L’avenir nous dira si les pouvoirs publics sauront relever le défi et respecteront strictement la légalité qui est la première expression dans un État de droit.
* Ancien diplomate.
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