Entre délit et délitement, l’État tunisien bat de l’aile! La scène politique est lamentable. Elle craque et elle se craquelle partout dans ses institutions étatiques : une violence inouïe (physique et morale) chez les députés au parlement, une incompétence avérée au gouvernement, une guerre fratricide entre les pouvoirs politiques et plus grave encore, on découvre que plus 6 200 dossiers terroristes ont été manipulés ou tablettés par la justice, par les premiers juges antiterroristes du pays. Ambiance délétère…
Par Moktar Lamari, Ph.D.
Sous la coupole du palais du Bardo, deux députés islamistes ont asséné des coups de poing et coups de pied à leur collègue femme, principale chef de l’opposition. La violence s’est produite dans l’indifférence totale du président du parlement, le religieux Rached Ghannouchi. Dans l’indifférence totale des forces de l’ordre et de la justice.
Névrosés et narcissiques au sommet de l’État
Un autre signe qui ne trompe pas : le chef du gouvernement désigné (non élu) s’accroche bec et ongles au pouvoir, malgré son incompétence et son néfaste bilan en matière de planification et de gouvernance des hôpitaux et des protocoles de vaccination contre le Covid-19. Le pays est ravagé par la Covid-19, et les patients meurent sur les trottoirs jouxtant les hôpitaux. Comme si la vie humaine ne vaut plus rien. Un chef de gouvernement qui fait office de majordome au service des partis islamistes au pouvoir.
Le président de la république, Kais Saïed, ne fait pas mieux. Pis, le président fait tout, sauf ce qu’il doit faire, conformément à sa mission fondamentale en tant que président de tous les Tunisiens et Tunisiennes. Il multiplie les monologues verbeux, les métaphores hors sujet et il ne semble pas détenir la fibre décisionnelle d’un «zaïm» politique, un leader transformationnel qui dispose d’une vision articulée, d’un programme réfléchi et une colonne vertébrale motivée par le bien-être collectif et la prospérité économique de ses concitoyens.
Un président qui verse dans la rhétorique herméneutique, sans aucune décision économique, sans aucun engagement face à la pandémie de la Covid-19, rien pour rassurer les opérateurs économiques, financiers et organisations internationales.
Où va-t-on ?
Le trésor public est exsangue! Le pays manque 23 milliards de DT pour boucler son budget pour 2021, soit 40% du total des dépenses publiques. Et cela ne change rien dans les officines au sommet de l’État, où tous se livrent à des mesquineries et à une guerre de tranchées qui ne fait que fuir les investisseurs, réduire la confiance et démolir à petit feu les propulseurs de la croissance économique. Un défaut de paiement à la Libanaise se profile à l’horizon.
Sur autre front, le FMI prend son temps avant de venir en aide, jugeant que la gouvernance actuelle cache la gravité de la situation économique aux Tunisiens et Tunisiennes.
La confiance à l’égard de ces «politiciens» qui gouvernent la Tunisie d’aujourd’hui se délabre à vue d’œil, de scandale en affaire, de rumeur en révélation, de tintamarre en esclandre…
Quelque chose est pourri…
Le ciel de la transition démocratique en Tunisie s’obscurcit et l’atmosphère est toxique et irrespirable, tant elle a été polluée par des marécages et massacres initiés par les partis dominants et au pouvoir quasiment sans discontinuité, depuis 2011.
L’atmosphère politique est surchargée par toutes ces haines, toutes ces impostures, toutes ces bassesses et abjections… Un contexte qui arrive avec son lot de maladies, de paupérisation, de décrochage scolaire et autres humiliations du quotidien.
À mesure que se succèdent ces bagarres physiques et ces dysfonctionnements au sommet de l’État, on ne peut que déplorer ces orchestrations dévastatrices pour le pays.
La Tunisie apparaît comme un pays aux abois, pris en étau entre un parlement dominé par l’islam politique et la violence qui va avec, un gouvernement amnésique et qui multiplie les bourdes de la mal-gouvernance et un président de la république qui passe son temps à s’entendre parler.
Une situation dramatique dans le secteur de la santé, chaotique sur le front économique et explosive sur le plan social. L’incompétence s’ajoute à l’inconséquence et l’indifférence à l’irresponsabilité.
Les Tunisiens ont perdu le sourire et la spontanéité, tellement ils savent plus à quel saint se vouer. Leur pouvoir d’achat a été amputé de moitié, et les apparences ne sont plus trompeuses, il suffit de les voir se comporter et les écouter parler en public…
Une dépression collective s’abat sur le pays, avec une image internationale qui se décompose à vue d’œil. La Covid-19 a empiré les choses, le pays n’attire plus les touristes et les investisseurs internationaux.
Tragique! Un contexte qui nous rappelle l’une des plus célèbres pièces de théâtre de William Shakespeare ‘‘Hamlet’’. Quand Horatio posait sa question fracassante: «A quel résultat cela va-t-il mener?», pour entendre la célébré réplique de Marcellus qui dit : «Quelque chose est pourri dans cet État…».
Le parallèle avec cette scène célèbre n’échappe à personne.
La Tunisie a besoin de renverser la vapeur, il faut agir par une thérapie de choc, comme dissoudre le parlement et appeler à des élections anticipées. La Tunisie ne peut vivre une autre décennie de paupérisation et d’obscurcissement des horizons.
Des élites qui se délitent ?
Avec de telles élites au sommet de l’État, la transition démocratique en Tunisie s’engage dans une très dangereuse trajectoire institutionnelle. En cause, la nouvelle constitution qui fractionne le pouvoir, émiette les responsabilités et profite de la naïveté de l’électeur médian (ordinaire et majoritaire).
Les élites au sommet de l’État sont arrivées au pouvoir sans programme socio-économique. Tous ont surfé sur le populisme, des belles promesses sans rien prouver et sans tenir parole.
Le spectre du délitement des élites au pouvoir est visible pour plusieurs analyses et ouvrages publiés récemment au sujet de la déroute de la transition démocratique.
Dr Fethi Lissir, un historien universitaire, a publié un récent livre traitant des amateurs propulsés au sommet de l’État tunisien, depuis quelques années. L’auteur décrit parfaitement ces élites néophytes qui gouvernent le pays dans l’improvisation, dans l’incompétence et dans la nonchalance.
Dans son ouvrage titré ‘‘État des amateurs’’, Dr Lissir décrit l’humiliation du projet de transition démocratique. Il pointe les faiblesses individuelles de ceux qui gouvernent l’État et le mènent doucement vers sa déliquescence. Une déliquescence propulsée par les petitesses des uns comme des autres.
Un autre ouvrage emprunte un angle économique explique ‘‘Le désenchantement du Jasmin’’, insistant sur les échecs à répétition des gouvernements successifs qui ne font que se doper par la dette, dépenser sans compter et altérer ultimement les moteurs de la croissance économique. Avec tout ce que cela implique comme asphyxie pour les ambitions liées à la prospérité économique et à la création d’emploi pour les jeunes générations. L’auteur de ce livre, Radhi Meddeb, fustige la spirale de l’endettement et dépeint les raisons de la colère, de la fatigue et du burn-out des opérateurs économiques et les instances décisionnelles liées.
Un autre cri de cœur est livré par Sabrina Zouaghi, dans un rapport de recherche (mémoire de maîtrise) publié et accessible en ligne à l’Université Laval (Canada). Mme Zouaghi explique l’influence néfaste qu’a eu le salafisme islamique dans le processus de rédaction de la nouvelle constitution tunisienne et partant dans la nature et le modus operandi des élus islamistes présents au parlement aujourd’hui.
* Universitaire au Canada.
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