Le corps de la magistrature en Tunisie a aujourd’hui une occasion unique pour faire son examen de conscience, assainir ses rangs et repartir de bon pied, en rompant définitivement avec un triste passé de clientélisme, de soumission aux lobbys de toutes sortes et… d’injustice administrée. S’il rate cette occasion, il n’en aurait pas d’autres et il devrait, un jour ou l’autre, rendre des comptes. Et cette opération, le jour où elle serait imposée par le peuple, aurait des conséquences terribles!
Par Ridha Kefi
L’information sur l’ouverture d’une instruction judiciaire à l’encontre du juge Béchir Akremi n’est pas anodine et si la procédure n’est pas étouffée ou détournée à un niveau ou un autre de l’Etat, dont les voies sont plus impénétrables que celles du Seigneur, on peut s’attendre à une véritable révolution au sein de la magistrature tunisienne, qui est en grande partie responsable de la dégradation de la situation générale dans le pays, et notamment au cours des dix dernières années.
Le Conseil de l’ordre judiciaire a donc décidé, hier soir, mardi 13 juillet 2021, de suspendre l’ancien procureur de la république, le sulfureux juge Béchir Akermi, en attendant que son affaire soit examinée en urgence par le procureur de la république, et ce, conformément aux dispositions de l’article 63, paragraphe 2, de la loi portant création du Conseil supérieur de la magistrature (CSM).
L’arbre Akremi ne doit pas cacher la forêt des juges ripoux
Le juge Akremi, qui était en charge de l’enquête judiciaire sur les assassinats de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi (tués par des extrémistes religieux, le 6 février et le 25 juillet 2013), en tant que juge d’instruction du Bureau 13, puis en tant que procureur de la république, est soupçonné de graves manipulations et de manquements dans l’instruction de ces deux affaires, ainsi que des affaires terroristes en général, dont il avait la charge, ce qui permit à de nombreux terroristes de passer à travers les mailles du filet. Il est aussi soupçonné d’avoir orienté l’instruction de ces affaires de manière à effacer les preuves d’implication de certaines parties et empêcher l’audition de certaines personnalités politiques influentes, comme Rached Ghannouchi, le chef du parti islamiste, Ennahdha.
Ce ne sont là, bien entendu, que des soupçons étayés par des éléments matériels contenus dans les dossiers (destruction de preuves, disparition de pièces à conviction et manipulations de toutes sortes) et qui restent à confirmer lors d’une instruction, sérieuse cette fois-ci et équitable, diligentée par une justice qui se serait, entre-temps, débarrassée de son péché mignon: la politisation à outrance.
Qu’on nous permette, au moins, d’espérer une telle mutation de notre justice, même si nous sommes nombreux à ne pas trop y croire, car la procédure, administrative et judiciaire, peut, à un moment ou un autre, buter sur des obstacles insurmontables et bifurquer pour aller dans une direction plus conforme aux vœux de certains magistrats, influents au sein du CSM, qui veulent éviter que la chute du juge Akremi ne soit le début d’une véritable purge au sein de ce corps d’Etat longtemps instrumentalisé par les lobbys politiques et les groupes d’intérêts, et qui s’était souvent laissé faire, contraint ou carrément complice, du moins s’agissant de certains juges dont les noms sont chuchotés dans les salles des pas perdus des palais de justice de la république.
La justice a besoin d’assainir ses rangs pour redorer son blason
Mais quoi qu’il en soit et qu’elle que soient les manœuvres qui seront tentées dans les prochains jours pour essayer de sauver le «soldat Akremi» (et derrière tout soldat, il y a toujours des généraux qui donnent des ordres), la justice tunisienne vit un moment charnière de son histoire: si elle parvient à assainir ses rangs en se débarrassant des magistrats corrompus, elle retrouverait sa crédibilité perdue depuis très longtemps (et plus précisément depuis les procès politiques de l’ère Bourguiba) et redorerait ainsi son image ternie auprès d’une majorité de Tunisiens. Et, au-delà du corps de magistrature, c’est tout le pays qui se sentirait beaucoup mieux. Ou bien, ce corps aujourd’hui très décrié renouerait rapidement avec ses mauvaises pratiques, et dans ce cas, tôt ou tard, et sans doute plus tôt que tard, la situation dans le pays étant quasi-explosive, il devrait, un jour ou l’autre, rendre des comptes. Et cette opération «Mani puliti» (Mains propres), comme celle menée en Italie dans les années 1990 par une poignée de juges honnêtes et courageux, ne saurait être reportée longtemps. Le jour où elle serait imposée par le peuple, elle aurait des conséquences terribles!
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