D’un pays classé pré-émergent et non éligible à l’aide internationale par les organismes internationaux et par l’Union européenne dans les années 2000, la Tunisie est aujourd’hui tombée dans la catégorie des pays pauvres. Ce «grand honneur», elle le doit, de toute évidence, à la classe politique au pouvoir depuis une décennie et en particulier au parti islamiste Ennahdha qui a conduit le pays de débâcle en débâcle et qui ne semble pas vouloir comprendre que la Tunisie de l’après-Covid ne sera jamais plus comme celle de l’avant-Covid.
Par Raouf Chatty *
Les annonces officielles de convois d’aides sanitaires et médicales de pays frères et amis : Algérie, Maroc, Mauritanie, Égypte, Arabie Saoudite, Émirats arabes unis, Qatar, France, Italie, Etats-Unis, Turquie… et de certaines organisations internationales déjà arrivées ou promises à notre pays, frappé très durement par la pandémie de la Covid-19, ont suscité chez les Tunisiens des sentiments mitigés.
Si tous ont été unanimes pour remercier vivement tous ceux qui sont venus à son secours dans ces moments très critiques, beaucoup ont déploré franchement sur les réseaux sociaux le très piteux statut auquel la Tunisie est aujourd’hui reléguée, prenant pour cibles de leurs critiques, parfois extrêmement violentes, le parti islamiste Ennahdha et ses différents alliés, au pouvoir depuis 2011, et, bien entendu, l’actuel gouvernement dont la gestion de la crise sanitaire a été pour le moins calamiteuse, au point de valoir à la Tunisie le premier rang mondial (pour une fois !) des pays frappés par le Covid-19.
La course à l’indignité et au déshonneur
Ces critiques ont redoublé d’intensité quand les gens se sont rendus compte que ces aides sont elles-mêmes devenues l’objet de surenchères politiques dans la compétition opposant, très maladroitement, le président de la république, Kaïs Saïed, au président de l’Assemblée et du parti islamiste Ennahdha, Rached Gannouchi, et au protégé de ce dernier, le chef du gouvernement Hichem Mechichi, le premier réclamant implicitement des initiatives personnelles en direction de l’Algérie, de l’Arabie Saoudite, des Émirats arabes unis, du Maroc, de la Mauritanie, de l’Italie, des Etats-Unis et de la France…, au moment ou le second réclame les siennes en direction du Qatar et la Turquie, les deux pays qui parrainent les mouvements islamistes dans la région. Les porte-paroles de ces hautes institutions de l’Etat n’étant pas en reste en la matière…
Il reste que la vérité qui ne saurait être occultée est que ni la présidence de la république ni celles du gouvernement et du parlement ne pourront aujourd’hui se prévaloir d’«exploits» dans ce domaine. Ces aides ont été pour l’essentiel suscitées par des raisons politiques et humanitaires, le naufrage sanitaire marquant l’actualité de notre pays est désormais présent sur toutes les grandes chaînes de télévision, remuant la conscience internationale, après que le système hospitalier en Tunisie ait été déclaré «complètement effondré», qui plus est par de grands médecins et de hauts responsables du ministère de la Santé, provoquant une prise de conscience internationale de la gravité de la situation humanitaire dans un pays situé au cœur de la Méditerranée.
Les scientifiques trahis par les politiques
Dans ce cadre, une note spéciale doit être accordée à l’appel émouvant et au cri de détresse lancés depuis une dizaine de jours au cœur de la tragédie par la professeure de médecine Insaf Ben Alaya, spécialiste de la médecine préventive, directrice de l’Observatoire national des maladies nouvelles et émergentes (ONMNE), désormais mondialement connue et écoutée dans les grandes sphères sanitaires mondiales. C’est elle qui a clamé devant les chaînes de télévision de manière franche et sans langue de bois que «le système hospitalier s’est effondré» et que «les professionnels de la santé sont au bout du rouleau», ce qui n’a pas manqué de lui être reproché, tant son affirmation sonnait comme une critique à peine voilée du laxisme montré par le gouvernement dans la gestion (ou plutôt la mon-gestion) de la pandémie, en ne tenant pas compte des avertissements clairs et fermes des membres du Comité scientifique et en laissant le virus circuler librement dans toutes les régions.
L’appel solennel de Mme Ben Alaya, relayé par les grands médias internationaux, a eu son effet immédiat, la situation en Tunisie devenant peu à peu une préoccupation majeure de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et de plusieurs pays occidentaux.
Déjà largement en retrait sur le plan international et épinglée en particulier pour la mauvaise gestion de ses finances publiques, avec un taux d’endettement public frôlant le taux critique de 100 % du PIB, la Tunisie a maille à partir avec ses bailleurs de fonds internationaux, notamment le Fonds monétaire international (FMI), qui ne lui font plus confiance, et dans le viseur des agences internationales de notation, qui ont dégradé sa note souveraine près d’une dizaine de fois en dix ans. Ce qui a valu à notre pays une forte dégradation de sa place sur la scène régionale et mondiale, et la très mauvaise gestion de la crise sanitaire, ayant fait à ce jour, officiellement, plus de 17 000 morts pour une population de 11 millions d’habitants, n’a rien arrangé, au contraire.
Aujourd’hui, la Tunisie est dans la pire des situations imaginables. Elle offre au monde l’image d’un pays faible, asthénique, déprimé, débordé par ses problèmes en tous genres, épineux et insolubles. Elle est malade d’une classe politique médiocre, incompétente et en lutte incessante pour la conquête ou le maintien au pouvoir.
Un pays au fond du trou
Depuis son indépendance en 1956, la Tunisie n’a jamais connu une situation aussi dramatique, perdant son rayonnement diplomatique international des années Bourguiba (1960-1987) et ses réussites économiques des années Ben Ali, devenant depuis dix ans à la traîne dans tous les domaines, comme en témoigne les indicateurs alarmants figurant dans les rapports des organisations économiques et financières internationales. Sa situation est aujourd’hui des plus intenables et son peuple, à bout de nerfs, menace d’en découdre… D’un pays classé pré-émergent par les organismes internationaux et par l’Union européenne dans les années 2000 et non éligible à l’aide internationale, la Tunisie est aujourd’hui tombée dans la catégorie des pays «pauvres». Dans son discours du 14 juillet courant, le président français Macron, parlant de la pandémie de la Covid-19, a dit avoir «une pensée pour la Tunisie» qu’il a classée parmi les pays africains «pauvres».
Ce «grand honneur», nous le devons, de l’avis de tous les analystes, au premier chef, à la classe politique au pouvoir depuis une décennie et en particulier au parti islamiste qui a conduit le pays de débâcle en débâcle et qui ne semble pas vouloir comprendre que la Tunisie de l’après-Covid ne sera jamais plus comme celle de l’avant-Covid, les Tunisiens ayant trop encaissé ne manqueront pas de les chasser du pouvoir de la manière qu’ils jugeront la plus appropriée, laquelle risque fort d’être très dure, et certains de leurs dirigeants vont être sérieusement appelés à rendre des comptes… et à répondre de leur gestion chaotique des affaires du pays.
A bon entendeur…
* Ancien ambassadeur.
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