Né en 1941 à Tafraout, petite ville de la région Sous-Massa-Drâa (province de Tiznit), au sud du Maroc, à 180 km au sud d’Agadir, et décédé en 1995 à Rabat, Mohammed Khair-Eddine est un enfant terrible de la littérature marocaine moderne et l’un des plus importants poètes francophones maghrébins contemporains. Vidéo.
Très marqué par le séisme de 1960, il s’installe à Agadir en 1961 et y vit jusqu’en 1963. Jeune écrivain, il fréquente le cercle des Amitiés littéraires et artistique de Casablanca et lance, en 1964, avec Mostafa Nissabouri, un manifeste et un mouvement «Poésie toute», et crée peu après la revue Eaux vives, qui sera de courte durée, et fera partie du groupe initiateur de Souffles.
Après une brève carrière dans l’administration (il est chargé par la Sécurité sociale d’enquêter auprès de la population), il quitte le Maroc en 1965 pour s’installer en France. Dès ses premiers écrits, il affiche clairement une stratégie littéraire qui abolirait les genres. Pour lui. il n’y a ni roman ni poésie, il y a l’écriture. Une écriture sans dieu ni maître, sans pays ni tribu. «Il faut bâtir sur le vide», clame-t-il dans Agadir, son récit inaugural. La langue pour ce faire ne sera pas en reste.
En France où il s’exile volontairement, il devient, pour subsister, ouvrier dans la banlieue parisienne. À partir de 1966, il publie dans la revue Encres vives et collabore en même temps à la revue Les Lettres nouvelles et à Présence africaine. En 1967, c’est la révélation de son roman Agadir, salué par le prix Enfants terribles, qu’avait fondé Jean Cocteau.
Excessif dans la vie, démuni dans la mort (survenue en 1994, cinq ans après son retour au Maroc), Mohammed Khaïr-Eddine s’en va après avoir défoncé les portes interdites et pris d’assaut les murailles de l’indicible. Saluant André Breton le lendemain de sa disparition, il rédigeait, aurait-on dit, sa propre épitaphe : «Poésie, ma morgue, ma sérénité et mon naufrage.»
Parmi ses publications, on citera Nausée noire, 1964, Agadir, 1967, Histoire d’un Bon Dieu, 1968, Soleil arachnide, 1969, Moi l’aigre, 1970, Le Déterreur, 1973, Une odeur de mantèque, 1976, Une vie, un rêve, un peuple, toujours errants, 1978, Résurrection des fleurs sauvages, 1981, Légende et vie d’Agoun’chich, 1984, Il était une fois un vieux couple heureux, 1993, Faune détériorée, 1997. Le Temps des refus, un livre regroupant tous ses entretiens entre 1966-1995, parut à titre posthume.
Mohammed Khair-Eddine dans l’émission Apostrophes, en 1984. Vidéo.
I
Un prisme ouvert posé au hasard des chardons
et nulle cause pour vivre
sauf que je vais aveuglément mais plus intense que toutes les sauterelles
absent de bruits presque ininterrompu
à chaque angle un nouvel écriteau les rues me croisent
un accroc
serait-ce encore cette pêche au sommet des roseaux
non
les affiches mentent voyez leurs couleurs
je recommencerai à zéro s’il le faut
voilà qu’une fenêtre s’ouvre sur moi-même
je donne tout entier sur un terrain vague
ce matin le soleil est mûr
et je ne doute pas que l’hiver soit fini
oubliés les sommeils plombés
les silos enténébrés où pas un songe n’entrait
repassée ma vie telle une chemise neuve
ma vie lavée de ses tressaillements des craintes du devenir
ce matin le soleil découpe sur la vitre
les ors verts jamais attendus
et tombent dans mes paumes des figues de barbarie
comme au creux des rochers qu’on disait habités
III
il dégringolerait du plus haut pic
se disperserait
comme l’essaim d’abeilles que frappe la rafale
laissez-moi seul avec mes risques
mes douleurs
mes cicatrices
je veux à peine vous frôler
puisque nous sommes inséparables
chaque jour des faits
des chaînes brûlantes
mais ce ne sont que des hommes les mêmes qui reprennent d’autres poses
devant un peuple que ses propres plaies démangent
quelque part des aveugles
des ventres creux
des villes mortes dans l’estuaire
survivras-tu
tu trembles
à l’approche du fruit
une cheminée découpe l’enfer
ta sueur brûle avec la résine et le fer
demeure habitable
demeure inconcevable les rires comme du gravier tranchant
la terreur dans ton corps comme l’encre de chine
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