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Tunisie : les voies pour une 3e république sont désormais balisées

Des chantiers énormes attendent la nouvelle Tunisie post 25 juillet 2021 qu’elle pourrait entamer en toute confiance pour redresser la barre et œuvrer sérieusement pour remettre le pays sur la voie de la démocratie et du développement loin des rancunes, des règlements de comptes et des turpitudes qui ont marqué la décennie post révolution du 14 janvier 2011.

Par Raouf Chatty *

Secoué dans ses fondements par les décisions historiques adoptées solennellement par le président de la république Kaïs Saïed, le 25 juillet 2021, dans le droit fil des attentes de larges franges du peuple et qui continuent de faire l’actualité en Tunisie et à l’étranger, déstabilisé comme jamais par ce séisme politique, le parti islamiste Ennahdha, pris au dépourvu, crie au complot et réclame le retour de l’ordre constitutionnel démocratique, selon lui suspendu depuis cette date.

Pris de panique, ne sachant plus où donner de la tête et en proie au désarroi, constatant que le  pouvoir politique est en train de lui échapper totalement et que même ses cadres et ses troupes sont  gagnés par le doute, le parti islamiste a délibérément choisi pour l’heure de calmer tactiquement le jeu au plan intérieur et de lancer sa machine de propagande à l’international, imputant la crise au président de la république, le critiquant sévèrement et arbitrairement auprès des puissances étrangères, des médias internationaux et des groupes de pression, et l’accusant franchement de renversement de l’ordre constitutionnel démocratique… et demandant le rétablissement de celui prévalant au 24 juillet.

Le lobbying international d’Ennahdha : stupide, dangereux et contre-productif

Pis, le chef du mouvement Ennahdha, Rached Ghannouchi, est allé même jusqu’à présenter le président de la république dans des médias internationaux comme un dictateur qui accapare désormais tous les pouvoirs, exécutif, législatif et judiciaire, déplorant le retour de la Tunisie à la dictature de l’ancien régime. Or, on le sait, tout ce qui est excessif est insignifiant…

Des campagnes de lobbying ont aussi été lancées en Europe et aux États-Unis par les activistes de l’Organisation internationale des Frères musulmans, dont Ennahdha est membre, pour courtiser la classe politique et l’opinion publique dans ces pays dans l’espoir que des pressions étrangères soient exercées sur le président tunisien.

Ces campagnes de lobbying, le chef de l’Etat les subit de plus en plus, comme en témoignent les entretiens téléphoniques qu’il eut avec le ministre des Affaires étrangères américain et le conseiller à la sécurité nationale à la Maison blanche, appelant tous deux à la sauvegarde de la démocratie, des libertés et des droits de l’homme, laissant entendre que ceux-ci seraient sérieusement en danger en Tunisie. Ce qui est loin d’être le cas, du moins pour le moment.

En optant pour cette démarche dangereuse et contre-productive, le parti  islamiste joue très gros, en faisant fi de la volonté du peuple souverain clairement exprimée le 25 juillet dans les rues. Il met aussi en danger l’Etat national, ouvre largement la porte aux ingérences des puissances étrangères, et aggrave la crise politique dans le pays, oubliant au passage que le président de la république a sauvé la république, comme il a sauvé le parti islamiste lui-même, objet de la vindicte des foules déchaînées dont certaines s’en étaient violemment prises, le 25 juillet, à certains de ses bureaux locaux… 

La voie vers la troisième république s’éclaire

En dépit de tout et se sachant dans le tort, désavoué par l’immense majorité du peuple et connaissant que leur bilan économique et social durant leurs dix années au cœur de l’Etat est catastrophique, les dirigeants du parti islamiste semblent avoir choisi de s’accrocher au pouvoir, rejetant les décisions du président, préférant attendre les résultats des pressions étrangères sur ce dernier et voir comment les choses vont évoluer pour eux et pour le pays durant les prochains jours, avant de statuer sur leur sort et l’avenir de leur parti, aujourd’hui au cœur de la tempête.

Leur activisme international n’est que poudre aux yeux car ils savent très bien que la décision du peuple est sans appel et qu’ils finiront, tôt ou tard, par se ranger sur sa volonté fermement et clairement exprimée.

Cette issue est fort plausible car les dirigeants islamistes savent tous que le parlement actuellement gelé a peu de chance de rouvrir ses portes dans un court terme, beaucoup de ses membres ayant maille à partir avec la justice pourraient faire l’objet de sérieuses poursuites judiciaires, sans parler du fait que le rapport de la Cour des comptes sur les élections législatives de 2019 pointe de graves dépassements en termes de financement des campagnes électorales par Ennahdha et son allié Qalb Tounes. Quelle légitimité peut avoir une représentation nationale achetée avec l’argent sale, qui plus est étranger ?

Dans ce bras-de-fer entre le président de la république et le chef du parti islamiste qui, pour l’heure, se trouve, lui et son parti, désarmés, comment se présenteront les choses dans les prochaines semaines, pour l’un et pour l’autre, tout comme pour la classe politique dans son ensemble et le peuple tunisien?

De prime abord, il faut rassurer le peuple tunisien, le parti islamiste politiquement désarmé et qui risque d’être de plus en plus désavoué par les siens ne sera pas actif sur le terrain, le peuple et l’armée ne le laisseront jamais faire. Désormais, il prendra le temps de faire son autocritique et de se conformer à la volonté nationale, de revoir son idéologie et toute sa stratégie pour espérer conserver une place sur la scène politique. Faute de mieux, il acceptera, contraint et résigné, la feuille de route qui sera présentée sous peu par le président de la république sur la base des propositions de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT).

Pour sauver les meubles, il doit accepter de faire publiquement son mea-culpa, de reconnaître tous ses torts, de présenter des excuses au peuple et de rendre des comptes si la justice demande à entendre ses dirigeants… Il saura que la Tunisie est désormais entré de plein pied dans la troisième république fondée sur le respect des droits de l’homme et la consécration de l’Etat de droit.

Le président de la république, qui procédera dans quelques jours à la nomination d’une personnalité  choisie par lui pour diriger le gouvernement et s’attaquer aux grands dossiers économiques, financiers, sociaux et sanitaires en souffrance, prouvera au monde que la Tunisie post 25 juillet 2021 sera un État démocratique fondé réellement sur une conception universelle des droits de l’homme et soucieux du respect des libertés individuelles et publiques où la presse sera libre et où la justice sera indépendante… Comme il l’a toujours dit, M. Saïed honorera son mandat et ses promesses et sera au service du peuple.

La feuille de route qu’il présentera à la nation et au monde pourrait comporter quatre volets: institutionnel, politique, économique et social de nature à apporter des réponses appropriées à la  crise sans précédent que vit le pays.

La nouvelle révolution tranquille initiée par Kais Saied

Bref, le chef de l’Etat, qui a initié une révolution tranquille, proclamera l’entrée de la Tunisie dans l’ère de la troisième république avec la rédaction d’une nouvelle Constitution. Cette mission pourrait être confiée à un comité d’experts. La nouvelle Constitution consacrera clairement le caractère civil de l’Etat, instituera un régime présidentiel dans le droit fil des attentes des Tunisiens, pouvant  s’inspirer du modèle français actuel avec des pouvoirs importants pour le parlement. Elle consacrera l’indépendance du pouvoir judiciaire et l’attachement de la Tunisie à la démocratie  et aux valeurs humaines universelles…

Libéré des contraintes, le pouvoir judiciaire pourrait engager son travail en toute souveraineté et sérénité concernant les députés qui font l’objet de poursuites judiciaires, les dossiers des martyrs Chokri Belaid et Mohamed Brahmi, tout comme les affaires liées au terrorisme et à la corruption…

Des chantiers énormes attendent la nouvelle Tunisie post 25 juillet 2021 qu’elle pourrait entamer en toute confiance pour redresser la barre et se mettre au travail pour remettre le pays sur la voie de la démocratie et du développement loin des rancunes, des règlements de comptes et des turpitudes qui ont marqué la décennie post révolution du 14 janvier 2011. Une nouvelle ère d’espoir et de travail s’ouvre pour tous les Tunisiens sans exclusive ni discrimination pour relever tous les défis et redonner à notre pays la place qu’elle mérite sur les plans régional et international. 

* Ancien ambassadeur.

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