A une douzaine de jours de la rentrée annuelle 2021/2022, prévue début septembre, la Tunisie attend avec impatience de voir le président de la république Kaïs Saïed, à défaut d’une «feuille de route», expression qu’il n’affectionne pas particulièrement, un programme ou un plan de marche pour la prochaine étape, de manière à concrétiser les grands espoirs suscités par le soulèvement populaire massif du 25 juillet 2021 et des décisions présidentielles historiques qui l’ont immédiatement suivies dans le droit fil des attentes des masses populaires de voir naître une Tunisie libre, démocratique, apaisée et prospère, après une décennie de déboires et d’échecs, en raison de la gouvernance catastrophique du parti islamiste Ennahdha et ses alliés.
Par Raouf Chatty *
Mobilisé autour du président de la république, le peuple cherche aujourd’hui à faire de ce momentum historique majeur un succès. Personne n’a le droit de le décevoir ni de lui usurper sa volonté souverainement manifestée le 25 juillet dernier, et qui a été retransmise par les télévisions du monde, remettant désormais la Tunisie dans l’agenda des urgences de la diplomatie mondiale…
Il pèse donc sur le président de la république une grande responsabilité pour faire aboutir le processus qu’il avait engagé le 25 juillet, avec délicatesse et sans heurts, comme il l’avait bien commencé, et qui a valu un grand discrédit à ses détracteurs, islamistes et autres, qui crièrent, hâtivement et de façon malhonnête, au coup d’Etat contre la constitution.
Eviter le marathon des discussions stériles avec les partis
Les Tunisiens comprennent aujourd’hui la prudence du président Saïed, partagent sa détermination et son attachement à ce que la nouvelle Tunisie demeure en toutes circonstances un État de droit, mais ils veulent qu’il continue sur sa lancée et ne se laisse pas gagner par le doute. Ils le jugeront, tout comme les partenaires de la Tunisie, sur la façon dont les réformes seront menées et sur leurs résultats dans le court terme.
Le président de la république devrait plutôt se fier aux sages qui connaissent d’expérience les problèmes socio-économiques du pays et qui ont largement pratiqué les affaires de l’Etat sur les plans national et international. Il doit éviter de prêter l’oreille aux novices, qui font feu de tout bois, et aux politicards, souvent partisans du statu-quo. Il doit aussi éviter de rééditer l’expérience des discussions marathons à Dar Edhiafa avec les partis politiques, lesquelles s’étaient avérées au final stériles, chaque parti voulant plutôt se positionner pour avoir sa part du gâteau.
Mieux il cerne les grands problèmes institutionnels, politiques, économiques, financiers, sociaux et culturels qui gangrènent le pays, mieux il identifie les causes des échecs de la décennie 2011-2021, les réformes à mettre en route dans l’urgence et les personnalités qui vont l’aider à les mettre en œuvre avec les meilleures chances de réussite.
Miser sur l’expérience et la sagesse
Les grands problèmes de la Tunisie sont connus de tous. Le président ne doit pas aller dans les détails. Les rapports établis par le gouvernement Habib Essid et livrés, au moment de son départ, en 2016, à ses successeurs, qui les ont oubliés dans les tiroirs, pourraient aider les équipes qui seront désignées par le chef de l’Etat à commencer le travail, en coordination avec lui et le Premier ministre devant être nommé incessamment.
Deux grandes commissions pourraient être créés : la première pour les réformes institutionnelles et politiques, la seconde pour les celles socio-économiques. Elles pourraient être présidées respectivement par deux personnalités politiques connues pour leur expérience confirmée dans la gestion des affaires de l’Etat. Elles pourraient comprendre chacune une vingtaine de personnalités versées dans les domaines visées par la réforme. Il serait vivement indiqué, à ce propos, que des représentants de la centrale syndicale et du patronat y soient associés, mais pas des représentants des partis politiques, qui n’ont rien à apporter et risquent même de freiner le travail.
Le président de la république a parfaitement raison de situer le plus grand problème de la Tunisie au niveau de l’affaissement de l’autorité de l’Etat, de l’aggravation du fléau de la corruption, du laisser-aller de l’administration publique et de la dégradation des valeurs…
Le combat majeur se situe donc au niveau de la restauration des valeurs pour construire une société démocratique, centrée sur le respect de l’être humain, qui valorise le travail, fondée sur le respect mutuel et la primauté du droit.
C’est autour de ce contrat que doivent se mobiliser toutes les forces vives dans le pays et non autour de considérations religieuses, idéologiques et partisanes anachroniques, qui ont prévalu durant la décennie post 2011 dans le pays avec le bilan mitigé dans tous les domaines qui a fait perdre à la Tunisie sa place dans son environnement régional et international, devenue aujourd’hui un boulet de fer au pied des grandes puissances.
Il faut que tout le monde se rende maintenant à l’évidence : nous ne sommes plus au siècle des débats religieux et idéologiques, le monde étant désormais remonté sur les logiciels de l’intelligence, du savoir, des nouvelles technologies, notamment numérique.
Les partis doivent baisser le son et laisser le pays se relever
Les partis, qui ont occupé la scène politique durant la décennie 2011-2021, notamment ceux qui étaient aux commandes, le parti islamiste Ennahdha en tête, doivent s’occuper à faire leur autocritique et préparer de nouveaux programmes mieux adaptés aux besoins réels de la population.
Ils sont bien placés pour savoir que le peuple attend aujourd’hui des résultats et non des discours creux. Leur bilan, qu’ils aient été au pouvoir ou dans l’opposition, est calamiteux et leurs électeurs ne manqueront pas de le leur dire le jour J. Aussi, le meilleur service qu’ils puissent rendre aujourd’hui à la nation est de prendre leur distance momentanément, de baisser le son, de se faire plus discrets et de laisser l’administration travailler. Celle-ci, malgré toutes ses insuffisances, a suffisamment d’expérience et de cadres qualifiés capables de remettre la Tunisie sur les rails. Mais s’ils s’entêtent à vouloir poursuivre leurs palabres stériles des années précédentes, le pays n’aura aucune chance de se relever.
* Ancien ambassadeur.
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