Le 25 juillet 2021 est un jour de paroxysme; une pointe telles celles qu’enregistre la courbe de l’Histoire du pays, où il y avait un avant et un après. La situation est devenue tellement critique que les choix devant un homme d’État responsable n’en sont plus ardus: préserver le pays de la déliquescence graduelle, mais certaine; où donner un coup d’arrêt à un système délétère à l’agonie tenu sous respiration artificielle à coup d’acharnement thérapeutique. Le 25 juillet 2021 fut une opération chirurgicale, les maux sont extirpés, quel soulagement!
Par Ali Bouaziz *
Coup de blitzkrieg
La Tunisie oxygénée respire à grande gorgée. Les responsables de la situation chaotique sont dans un état d’apnée prolongée: nos puérils chers parlementaires dirigés par Rached Ghannouchi, les acteurs qui représentaient le coussin du gouvernement grabataire dirigé par Hichem Mechichi, dont les frères Nabil et Ghazi Karoui qui sont en fuite en Algérie et les éternelles figures du paysage audio-visuel qui se prenaient pour des thaumaturges de l’analyse politique, alors qu’ils sont des nullards invétérés.
Pour végéter les perdants ont brandi l’argument fallacieux du coup d’État; certains ont même tout manigancé pour attirer une intervention extérieure véhémente par le biais de lobbying rétribué, leurs arguments sont si faibles qu’ils en essuient le contrecoup de leur maléfice.
Le système en place, qui perdure depuis une dizaine d’années, a perdu toute légitimé, tous les indicateurs sont au rouge: constitution pléthorique qui a conduit à une impasse touchant la gestion du pays, aucun n’a la latitude de gouverner réellement; blocage des investissements productifs ; inflation réelle à deux chiffres, perte sèche du pouvoir d’achat; affirmation d’une caste de nouveaux riches composée des anciens compradores à qui s’ajoutent les trafiquants de tous genres et les corrompus institutionnels; le chômage galopant; l’incurie devant le Covid-19… Le plus grave reste le manque de visibilité concernant l’avenir, l’horizon est opaque; les trois quarts des jeunes ne pensent l’avenir qu’en dehors du pays, dit pays de la révolution du jasmin!
Contre toutes les prémonitions des apôtres de la pensée unique, les néo-démocrates et les apprêtés démocrates, la président Kaïs Saïed a pris presque tout le monde au dépourvu, le coup du 25 juillet 2021 fut un blitzkrieg qui a réussi. Un moment de communion rare entre un leader charismatique et la masse populaire s’est produit; c’est la troisième fois dans l’histoire contemporaine de la Tunisie que cela se produit, le 1er juin 1955 avec Bourguiba, le 7 novembre 1987 avec Ben Ali des premiers jours et le 25 juillet 2021. Une grande liesse spontanée s’est déclenchée le soir de l’annonce de l’arrêt du spectacle désolant du parlement et le limogeage de Mechichi, la fin des deux causes directes de la déprime généralisée.
La délivrance
Le 25 juillet 2021 a ringardisé presque la totalité des membres la classe politique qui à force de puérilité et d’inconsistance, étaient devenus des acteurs anxiogènes, leur évanescence du paysage médiatique avait un effet prophylactique sur la santé mentale des Tunisiens. Beaucoup de gens ont eu le sentiment qu’ils ont passé directement du 14 janvier 2011 au 25 juillet 2021; qu’ils ont enjambé une décennie, ils essaient de fermer les yeux pour oublier une parenthèse douloureuse; néfaste, elle n’a laissé auprès d’eux que de mauvais souvenirs. La liberté d’expression dont certains arborent comme un grand acquis, ils n’en ont que cure, singulièrement quand on a occulté les grands débats nationaux touchant le présent et le futur, les grands plateaux ont été transformés, presque exclusivement, en liberté de dénigrer.
Le 25 juillet 2021 comme le 14 janvier 2011 furent deux moments de rupture dans le système politique en place; moi homme de droite, je préfère le vocable rupture à celui de révolution, synonyme de gabegie. Quel est le marqueur principal de cette rupture: le pouvoir en place tombe sans qu’il ne trouve aucun groupe actif pour le défendre y compris parmi les siens; Ben Ali n’a pas trouvé l’armada du RCD pour le défendre, idem pour Ennahdha de Ghannouchi.
Dix ans pour que le peuple, dans sa majorité, se convainc que les partis actuels, sauf cinq, sont une excroissance inutile; ils ne sont que des corps fantomatiques agglutinés autour de quelques chefs qui ne sont que des cas pathologiques. Que certains leaders de gauche ou apparentés sont d’éternels loosers, des dinosaures qui tardent à tirer leur révérence. Que le discours des hommes politiques n’est que fourberie: ceux qui fondent leurs compagnes électorales sur des supposés clivages irréconciliables avec d’autres partis sont les premiers qui, main dans la main, constituent des gouvernements pour se partager les dividendes du pouvoir. Que la prétendue démocratie à la tunisienne n’est que jeu de chaise musicale, ses joueurs inconsistants n’ont aucune envergure pour remédier aux urgences, aucune aptitude à concevoir un avenir proche et aucune capacité à se projeter dans un avenir lointain. Que les slogans biaisés tels «l’islam en danger» et «donnez nous notre part du pétrole et du sel» prônés par les tenants de l’islam politique ne sont que grossières escroqueries.
La ridicule idée de putsch
Pour se convaincre du ridicule de l’idée de putsch commis par le président Kaïs Saïd, j’avance les arguments suivants…
Le président de la république à travers l’article 72 de la constitution de 2014 est le chef de l’État, le symbole de son unité. Il garantit son indépendance et sa continuité et veille au respect de la Constitution. Nos griefs contre l’idée de coup d’État se basent sur plusieurs arguments.
Etant donné que le président de la république est le chef de l’État, il ne peut pas faire un coup d’État contre lui-même; ceux qui font des coups d’État sont les subalternes contre leurs supérieurs; lui n’a de supérieur que le peuple; le peuple a instantanément plébiscité son initiative du 25 juillet.
Le président de la république garantit l’indépendance du pays et la continuité de son État. Par son initiative, ayant eu l’adhésion totale de toutes les forces armées, garantes réellement de l’indépendance du pays, aucun ne peut prétendre qu’il a joué avec ce principe éminemment sacré: la réplique mémorable de l’officier en charge de l’application de la décision du président concernant la suspension des travaux de l’ARP à Rached Ghanouchi venant à quatre heures du matin ouvrir les portes du parlement en dit long sur celui qui a raison et celui qui a tort. La continuité de l’État a été sérieusement menacée par les gamineries des parlementaires de tous bords, par l’incurie du gouvernement Mechichi et aussi par la propagation de la corruption à tous les échelons et à presque tous les domaines. Si le président n’a pas agi de la sorte, il aurait failli à sa mission telle que définie par la constitution. Ceux qui le prennent pour putschiste, dans leur dessein qui a échoué, auraient, pour les mêmes motifs cités en supra, essayé de le destituer pour manquement à la sauvegarde de l’intégrité de l’État.
En activant l’article 80 de la constitution, le président a jugé, à bon escient, qu’un péril imminent menaçant l’intégrité nationale et la sécurité du pays et entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, s’est installé; il n’avait de choix que de décréter l’état d’exception. L’obligation de consulter le chef du gouvernement et le président de l’ARP a été sommairement respectée étant que les deux tenants de ces deux fonctions sont eux-mêmes les premiers responsables du péril imminent. Le président n’a pas informé le président de la Cour constitutionnelle étant qu’elle n’existe pas par la faute de Ghannouchi et ses compères.
La vox populi/voix de la raison
Kaïs Saïd n’aurait jamais entrepris le coup d’arrêt du 25 juillet sans avoir tissé de forts liens de confiances avec les chefs de toutes les forces armées et aussi sans avoir flairé une attente populaire demandant une rupture nette avec tout le reliquat post 14 janvier 2011. Ici, le président a fait jouer la vox populi contre ses détracteurs. La voix populaire est généralement opposée à la voix élitaire. Laquelle dans les moments difficiles est la plus amène a sentir les dangers vitaux et à adopter un chef naturel? Tout de go, j’affirme que ce n’est pas l’élite auto-proclamée politico-médiatique. Elle n’a jamais vu Kaïs Saïed percer dans l’acceptabilité populaire depuis 2011; elle n’a jamais prédit sa fulgurante victoire aux élections présidentielles; elle ne l’a jamais pris au sérieux de mi-octobre 2019 à fin juillet 2021; elle n’a jamais cessé de le dénigrer avec méchanceté pendant la même période. La vox populi a réagi tout contrairement à la voix élitiste. Elle a senti la sérénité, l’honnêteté et la bravoure du personnage (la caméra cachée du séisme y est pour quelque chose) ; le choix du leader s’est fait par instinct de survie, instinct que tous les groupes humains ont développé depuis la nuit des temps, la voix populaire y a sélectionné spontanément le leader capable de mener le bateau ivre de la Tunisie à bon port; idem, l’intelligence collective y a participé à travers tout ce qu’Internet peut offrir de média. Finalement, jusqu’à maintenant, le président continu à jouir d’un capital de confiance qui frôle le consensus.
Face à un danger imminent les sociétés prennent deux attitudes, soit la débandade et le sauve-qui-peut soit la cohésion et la marche dans un seul but sous la houlette d’un chef charismatique. Ici se manifeste l’âme collective qui réduit les individualités et les égoïsmes au profit de l’idée de salut public. C’est un constat statistique objectif qui n’a aucun rapport avec l’idéalisme philosophique d’un tel ou d’un autre. Le peuple maîtrisant son libre arbitre a du flair, c’est presque infaillible, il sait démêler l’ivraie de la bonne graine; cela ne date pas de 2021, mais de 2012; la sincérité majore, la fourberie minore. L’histoire de Kaïs Saïed, le solitaire, à la tête du peloton de plusieurs longueurs sur ses pisteurs et de Rached Ghannouchi cajolé par d’innombrables forces occultes et dopé aux stéroïdes polichinellesques qui traîne à la queue du peloton de la même époque, c’en est une preuve.
Selon notre sentiment le président à réagi selon l’échelle des priorités suivantes: survie du peuple, survie de la nation, survie de l’État, survie de l’économie, survie du droit puis survie du politique. La politique en dernier degré parce que vidée de sa noble essence par nos apprentis sorciers de politicards de pacotille. Son initiative qui a sauvé le pays en faisant fi de la lettre de la constitution mise en veilleuse a renvoyé les relations gouvernés/gouvernants au stade du contrat social tel que prôné par J. J. Rousseau: le consentement y est, la légitimité y est aussi. Depuis un mois et demi nous vivons sous un contrat non écrit; néanmoins, le plus sain serait que nous revenions à un contrat écrit sous la forme d’un décret-loi portant organisation provisoire des pouvoirs publics puis à une nouvelle constitution qui remédie aux défectuosités de l’actuelle.
Je clos mon inventaire par inviter à tempérer tous ceux dont l’équation personnelle ne leur a pas permis de digérer et l’initiative du 25 juillet et la communion entre le président et le peuple. Primo, certains universitaires imbus de leurs personnalités qui refusent qu’un assistant, par son choix délibéré, soit le seul à pouvoir interpréter la constitution en l’absence d’une Cour constitutionnelle; outre le fait qu’il soit créateur de faits constitutionnels dont ils seront eux-mêmes amenés à interpréter d’une façon ou d’un autre. Secundo, nos leaders d’opinion qui ont perdu en n’ayant presque plus aucune emprise sur le commun des mortels, leurs discours devient cacophonique, inaudible, d’ailleurs contre productif pour ceux qui tirent les ficelles, autant ils essaient de discréditer le Président, autant il trouve dans ce peuple les gens qui le défendent non par des lieux communs, des quolibets et par des insultes, mais par des arguments.
De tout le microcosme politique tunisien le président Kaïs Saïed est le seul qui peut se prévaloir de dire «Veni vidi vici»; néanmoins, sans vouloir imposer quoi que ce soit au président, d’ailleurs aucun ne peut le faire, pourrais-je lui demander d’être un peu plus à l’écoute de ceux détachés de toutes connivences avec la corruption et qui ne veulent que le salut du pays et ils sont très nombreux. Il faut faire attention au coup de boomerang, quand la visibilité s’estompe, l’anxiété s’installe et le désenchantement devient réalité, ce que tous les enthousiastes du moment craignent le plus.
P.S.
Envoyé le 9 septembre matin, cet article devait être mis en ligne le 10 septembre. Le 9 septembre, en soirée, l’UGTT a publié sa proposition pour une gestion concertée de la période à venir. Moi, ancien syndicaliste, ex-gauche, ayant quelques dents contre certains dirigeants de la centrale syndicale, homme de droite; je n’ai pu que mettre de côté tous mes ressentiments. Le document bien travaillé, conçu dans une logique de rupture totale avec le système corrompu d’avant le 25 juillet, la discussion approfondie de son contenu avec la présidence de la république présente une belle opportunité pour une sortie de crise sans trop de dégâts collatéraux.
* Directeur du site Ibn Khaldoun.
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