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Présidentielle : Kaïs Saïed, un solitaire devenu populaire !

Je vote Kaïs Saïed parce que le pire qui puisse arriver à la Tunisie aujourd’hui c’est un compromis entre Ennahdha et Qalb Tounes fondé sur le bail suivant : tu me tiens je te tiens par la barbichette; tu m’aides à chasser mes cafards, je t’aide à présider. Seul un président aux aguets, se plaçant hors de ces magouilles, comme le professeur de droit, sera du pain bénit pour la Tunisie.

Par Ali Bouaziz *

Au premier tour du scrutin présidentiel, je n’étais pas dans le secret des dieux, je n’ai jamais été au parfum des grands prédicateurs augurant à l’avance la présence de Kaïs Saïed au second tour. Il était hors de ma grille de lecture. À tort, je croyais que les deux finalistes seraient Nabil Karoui et Abdelfattah Mourou; au demeurant, mon choix s’était porté sur Mohamed Abbou que je voyais présidentiable et je persiste à le voir ainsi. Au second tour je m’apprêtais à faire le choix entre deux hommes que je ne portais pas dans mon cœur. Cependant, je me dirigeais vers le choix d’Abdelfattah Mourou, qui somme toute est, à mon avis, moins toxique que Nabil Karoui; il a au moins le sens de l’État et il avait tout le loisir de le montrer lors de l’exercice de sa vice-présidence à la tête du perchoir de l’Assemblée nationale.

Trois positions

Entre deux candidats en lice pour la magistrature suprême trois positions sont possibles : rester à l’écart dans une attitude de non-choix ou choisir un des candidats.

La première position est celle des boudeurs et des boudeuses. Ils disent qu’ils ne s’y trouvent ni dans le camp de Kaïs Saïed ni dans celui de Nabil Karoui ; ils nous invitent à faire le choix du non-choix, le bulletin blanc. Ils sont purs, ils sont puritains, ils sont au-dessus de la mêlée ! Ils ne sont pas conscients qu’ils vont, ainsi, bon gré mal gré, subir le choix des autres, fussent-ils les représentants d’une infime minorité. Attitude puérile qui ne dépasse pas celle du gamin capricieux en école élémentaire qui à la moindre contrariété croise les bras, fait la moue, les yeux larmoyants, met la tête sur le pupitre, la couvre des deux mains et attend qu’on le console.

La deuxième position est celle de choisir le camp de Karoui, non pour ce qu’il représente, mais par répulsion envers le camp de Kaïs Saïed à qui on reproche une photo par-ci, une idée par-là; on l’affabule d’énormément de préjugés qui ne résistent à aucune critique sérieuse.

Aucun ou presque n’a de visibilité sur le programme de gouvernement de Nabil Karoui. On bouche les oreilles à tout ce qui a trait aux attitudes de mauvais garçon de ce candidat. Dès le premier tour, j’ai relégué une fois pour toutes Nabil Karoui hors de ma liste des nominés à l’élection présidentielle, je le voyais en braconnier politique qui n’a que cure des lois de la République. Un candidat entouré des gens des plus louches, usant du culte de la personnalité à travers sa chaîne Nessma, via une propagande goebbelsienne, pour le hisser au stade des demi-dieux.

La troisième position est celle de choisir le camp de Kaïs Saïed. Son nom prononcé, grande ne fut ma surprise; mais, tout de suite je l’ai adopté contre vent et marée. Une cabale à grande échelle s’est installée contre ce candidat; les partenaires en sont les tenants et bénéficiaires du système en place, les services occultes étrangers et toutes les cassandres professionnelles. Pourquoi jettent-ils l’opprobre sur Kaïs Saïed ? Parce qu’il est incorruptible. Pourquoi mettent-ils le paquet pour Nabil Karoui ? Parce qu’il traîne des casseroles derrière lui qu’on puisse à tout moment les sortir pour le faire chanter ou pour faire capoter l’expérience démocratique tunisienne, le plus grand souhait de tous les gouvernements arabes ou presque.

Les douze arguments

Pourquoi suis-je pour l’élection de Kaïs Saïed à la magistrature suprême ?
Primo, pour prémunir le pays contre l’installation d’un pouvoir occulte au cœur du Saint des Saints, en l’occurrence, la Présidence de la République. Le candidat Kaïs Saïed est un candidat intègre sans aucune accointance avec les milieux affairistes douteux. Aucun risque que la Présidence ne devienne le lieu d’agiotage entre acolytes intérieurs et extérieurs.

Secundo, il est le seul qui, de par l’atmosphère de sérénité et de sincérité qu’il dégage, a su fédérer autour de lui de larges franges de la société tunisienne des gens les plus humbles cherchant la sécurité aux gens les plus riches à l’affût d’un climat des affaires décanté de la corruption ambiante; de l’extrême droite à l’extrême gauche en passant par le centre, même par les royalistes qui y trouvent leur compte.

Tertio, quand il présidera le conseil de sécurité, les états-majors qui détiennent la gâchette vont être en confiance qu’ils débattent en toute sécurité avec quelqu’un qui n’est redevable qu’à la nation, que les décisions prises ne sont pas au service d’une coterie.

Quarto, quand, il trace les grandes lignes de la politique extérieure du pays en concordance avec son chef du gouvernement et son ministre des Affaires étrangères, cela se fera exclusivement dans le respect des intérêts suprêmes du pays, non en considération des intérêts de quelques interlopes clans.

Quinto, l’idée-force qu’il prône et que je partage profondément et la suivante : les conflits en rapport aux questions identitaires sont à reléguer aux oubliettes, la constitution les a fixés une fois pour toutes. Les questions qu’il faut traiter avec acuité sont les questions économiques et sociales.

Sexto, lors de son interview donnée à la chaîne Watania, il a parlé mainte fois d’histoire et de nouvelle phase historique. Il en a bien raison. Depuis Bourguiba aucun président y compris Béji Caïd Essebsi n’avait le sens de l’Histoire, même pour son projet pour l’égalité dans l’héritage qui a un caractère immensément historique, il ne l’a pas mis en exergue en tant que son passeport pour l’Histoire avec grand H. Quelqu’un qui veut s’inscrire sur la liste des leaders historiques du pays aura toute la latitude pour parfaire son exercice du pouvoir et pour prendre les choix judicieux pour le présent et l’avenir du pays.

Septimo, droit dans ces bottes, il n’a jamais succombé aux sirènes du politiquement correct prôné par une clique d’influenceurs publics qui se prennent pour des leaders d’opinion. D’ailleurs, il a bien fait de les bouder; à chaque fois qu’ils le dénigrent ouvertement ou sournoisement, ils lui donnent encore plus d’aura et de volume.

Octavo, ceux qui ont insulté l’intelligence des Tunisiens par des articles à charge contre Kaïs Saïed tout en épargnant totalement son compétiteur de toute critique comme s’il serait le messager des Cieux, nous disent vous ne devez pas élire Kaïs Saïed, mais ils escamotent sciemment de nous dire votez Nabil Karoui, parce qu’ils savent très bien que leur argumentation en faveur de ce dernier est vraiment frêle et malingre. À chaque fois que l’un de ses thuriféraires a pointé du doigt, il a immédiatement essuyé les quolibets des internautes tels certains journalistes qui d’habitude ne sont pas des plumitifs.

Nono, les trappeurs hyper clairvoyants qui se sont proposé de débusquer les dessous de la compagne de Saïed tardent encore à présenter leurs preuves, leurs assertions ne dépassent guère le stade de la calomnie. Alors, qu’ils se taisent à propos du dernier cadavre sorti du placard de Nabil Karoui concernant l’affaire en suspens du million de dollars alloué à un lobbyiste israélo-canadien pour l’aider à rencontrer Trump et Poutine.
Decimo, cheminant sur un parcours iconoclaste, Kaïs Saïed le solitaire, sans aucune machinerie partisane lourde, est devenu par son style et sa par droiture un homme politique populaire; il répond à l’attente d’une bonne majorité de Tunisiens à un point T. Avec lui ce qu’on appelle abusivement révolution tunisienne aurait probablement un sens.

Undecimo, face aux blocages qui vont pointer du doigt lors des tractations pour la formation du nouveau gouvernement, un président qui se situe en dehors des combines partisanes, au-dessus du tohu-bohu, est une chance pour le pays. Le contraire de son compétiteur, n’ayant de compte à rendre à aucun parti, le cas échéant, quand ces tractations vont traîner en longueur jusqu’à leur ultime limite définie par la constitution, à moins que tout le microcosme politique ne se mette d’accord sur un gouvernement de technocrates, il pourra siffler la fin de la récréation appelant à de nouvelles élections législatives.

Duodecimo, les apostrophes de Qalb Tounes contre le parti Ennahdha mettant en exergue lesdites divergences profondes les séparant et les invectives à noms d’oiseaux pleuvant de part et d’autre, est-ce vrai ? Est-ce faux ?

Il y a tout lieu de croire que toute cette gesticulation de la part de Qalb Tounes est faite pour appâter les adversaires de l’islam politique pour voter Nabil Karoui contre Kaïs Saïed, elle se dissipera les résultats du scrutin proclamés. Une alliance fort probable va être installée entre les deux partis; la parade est toute tracée, une logorrhée fastidieuse va être produite sur la préservation des hauts intérêts du pays. L’intégrité de Kaïs Saïed peut faire peur aux deux camps, c’est un empêcheur de tourner en rond.

En deux temps

Légitimement, on peut me rétorquer que moi-même je suis dans la posture de l’encenseur envers Kaïs Saïed. Détrompez-vous, je partage beaucoup de ses idées y compris celles dites de droite telle l’acceptation de la peine de mort, mais je suis en désaccord avec sa conception de l’architecture du pouvoir. On ne peut pas réinventer la roue; pour le moment, rien ne vaut une élection sur des programmes proposés par des listes défendant les couleurs de partis de différentes orientations politiques et idéologiques.

La conception des structures de la représentativité politique fondée, non sur les partis, mais sur les individus est hasardeuse. Dans notre société fondée sur les réflexes de solidarités mécaniques régionales, tribales, familiales, corporatistes… les choix des représentants politiques vont être biaisés, ils seront faits au détriment des solidarités organiques fondées sur le mérite, l’abnégation, le don de soi… Tous les représentants individuels, dits indépendants, sont en majorité des projets virtuels de voyageurs politiques, de combinards et de vendus aux plus offrants.

Somme toute, Kaïs Saïed, statistiquement, devrait l’emporter; si le cas contraire se présente, oublions le rôle abracadabrant d’un fantomatique réseau dit Mouvement des jeunes de Tunisie dont un énergumène a publié un communiqué à charge contre ce candidat rédigé d’un seul jet avec les mêmes fautes de langue arabe du début à la fin, qui sent le souffre de la manipulation et dont quelques journaux électroniques se prétendant sérieux se sont fait l’écho dans le seul dessein de donner un coup de pouce à Nabil Karoui.

La seule explication est qu’Ennahdha a appelé en catimini à voter pour ce dernier candidat, ce qui trahit le constat qu’elle a trouvé un compromis avec Qalb Tounes fondé sur le bail suivant : tu me tiens je te tiens par la barbichette; tu m’aides à chasser mes cafards, je t’aide à présider. Le pire scénario pour le pays est une alliance de gouvernement entre ces deux partis que tout oppose, cela n’a de nom que gouvernement de compromission. Un président aux aguets, se plaçant hors de ces magouilles, cela s’appelle du pain bénit pour la Tunisie; néanmoins, il doit aussi, de sa part, le prouver.

* Directeur du site Ibn Khaldoun.

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