L’ex-président algérien Abdelaziz Bouteflika, décédé hier, vendredi 17 septembre 2021, à l’âge de 84 ans, après une longue maladie, avait commencé sa vie politique au début des années 1960, à Tunis, et a gardé, sa vie durant, de fortes attaches avec notre pays, où il séjourna à diverses périodes de sa vie.
Par Imed Bahri
Bouteflika, qui fut en son temps le plus jeune ministre des Affaires étrangères en fonction (il n’avait que 26 ans lors de sa nomination), a dirigé l’Algérie de 1999 à 2019, pendant quatre mandats consécutifs, avant d’être démis de ses fonctions sous la pression de la rue pour avoir commis l’erreur, impardonnable aux yeux des Algériens, de briguer un cinquième mandat successif, alors que son état de santé était très détérioré et que son règne dégénérait en une interminable chronique de la corruption ordinaire.
Un amour de jeunesse, l’amour d’une vie
Né le 2 mars 1937 à Oujda (Maroc), cet autodidacte brillant s’engage dans l’Armée de libération nationale (ALN) pendant la guerre d’Algérie. Membre du clan d’Oujda, il se lie avec Houari Boumédiène, sous l’égide duquel il progresse rapidement dans l’appareil administratif de l’«armée des frontières». Et c’est durant cette période qu’il séjourne à Tunis avec les autres membres de la direction du Front de libération nationale (FLN) et se lie d’amitié avec les membres de la direction politique tunisienne post-indépendance, à commencer par Habib Bourguiba et son épouse, Wassila Bourguiba, et son fils Habib Bourguiba Junior, ainsi qu’avec Mohamed Masmoudi, qui sera son homologue lorsqu’il accédera au poste de ministre des Affaires étrangères de 1963 à 1979, dans les trois gouvernements Ahmed Ben Bella et les quatre gouvernements Houari Boumédiène.
Les parcours politiques chaotiques des deux hommes se croiseront aussi lors de leurs longues traversées du désert, notamment en France et aux Émirats arabes unis où ils ont bénéficié de l’hospitalité de feu Cheikh Zayed Ben Sultan Al-Nahyane, qui appréciait la compagnie de ces deux hommes d’expérience qui savaient aussi être drôles et agrémenter les «majlis» de l’émir par des anecdotes sur les grands de leur époque qu’ils côtoyèrent grâce à leurs hautes fonctions.
Un journaliste qui a croisé Bouteflika à cette époque se souvient : «Bouteflika me disait que les rapports entre Bourguiba et Boumédiène étaient souvent houleux. Mais grâce à ma proximité avec Wassila, le réseau de l’UGTT, Bourguiba Junior et d’autres éminentes figures du Néo-Destour, j’ai toujours réussi a arrondir les angles et à aplanir les difficultés sans en référer à Boumédiène.»
«L’ancien président algérien était d’autant plus attaché à la Tunisie, où il compte de nombreux amis, que cet homme à femmes, qui ne s’est jamais marié, n’eut qu’un seul grand amour : une Tunisienne mariée dont il fit la connaissance durant ses jeunes années à Tunis», ajoute le même journaliste.
Avec Zine El-Abdine Ben Ali, Bouteflika a gardé des relations certes distantes, du fait de la sobriété de l’ancien président tunisien, de tempérament plus réservé, mais assez correctes, ce qui a permis à l’ancien chef de la diplomatie algérienne, du fait de ses bonnes relations avec le président Liamine Zéroual, d’intercéder à plusieurs reprises entre les deux hommes, lorsqu’ils étaient tous deux confrontés, dans les années 1990, à l’hydre du terrorisme islamiste.
Des relations cordiales malgré les vicissitudes de l’histoire
Lorsque Bouteflika a accédé lui-même à la présidence de l’Algérie en 1999, et qu’il a fait voter et approuver par référendum, en septembre 1999, la loi de la «concorde civile» prévoyant une amnistie partielle des islamistes armés, contre leur désarmement et leur abandon du maquis, opération qui mit fin fin à la «décennie noire», Ben Ali, qui rejetait toute conciliation avec les islamistes en Tunisie, était suffisamment pragmatique pour apprécier la baisse de la violence terroriste chez les voisins algériens. Aussi, et malgré leurs options politiques différentes, les deux hommes ont gardé des relations cordiales imposées par la profondeur historique des liens entre les deux peuples.
C’est ainsi que Bouteflika sera parmi les rares chefs d’Etat, avec les présidents français Jacques Chirac, palestinien Yasser Arafat et égyptien Mohammed Hosni Moubarak, à avoir fait le déplacement à Tunis pour assister, aux côtés de Ben Ali, à Monastir, le 8 avril 2000, aux obsèques de Bourguiba. Il décrète un deuil de trois jours en Algérie et reconnaît en le défunt «l’une des personnalités du Maghreb les plus marquantes du xxe siècle dont l’Afrique et le monde peuvent s’enorgueillir».
Malgré des vicissitudes par lesquelles les deux pays sont passées entre 1999 et 2019, période de règne de Bouteflika, entre Tunis et Alger, les relations ont toujours été empreintes d’entente cordiale, l’Algérie se gardant même de s’immiscer dans les affaires intérieures de la Tunisie lorsque la révolution a éclaté, le 14 janvier 2011, à Tunis, et faillit même, au début, déborder sur l’Algérie. Le pragmatisme a toujours inspiré les dirigeants des deux pays dont les orientations idéologiques et les options politiques ont souvent été aux antipodes : pendant la guerre froide, Tunis avait toujours eu un tropisme occidental, alors qu’Alger était de tendance tiers-mondiste et avait des liens très fort avec le bloc soviétique. Mais les nuages étaient rares dans leurs relations bilatérales et, grâce à l’entregent de leurs dirigeants, ces nuages se dissipaient rapidement, les deux peuples voisins ayant toujours été très proches.
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