On ne va tout de même pas faire la fine bouche parce que le président Kaïs Saïed n’a pas nommé un poids lourd de l’économie pour diriger le prochain gouvernement, alors que les défis actuels pour la Tunisie sont en grande partie économiques et sociaux. On doit tout de même être reconnaissant pour cet homme, réputé conservateur, d’avoir eu le courage de nommer une femme, Najla Bouden, pour le poste de Premier ministre. Une première dans l’histoire du pays.
Par Ridha Kéfi
Nommée aujourd’hui, jeudi 29 septembre 2021, cette ingénieure, universitaire doublée d’un commis de l’Etat va devoir former son gouvernement et on imagine qu’elle ne le fera pas toute seule comme une grande mais que, par loyauté, elle consultera la présidence de la république sur sa composition. Cela a dû être inscrit dès le départ dans le deal et on voit mal Mme Bouden refaire à Saïed le coup de son prédécesseur, Hichem Mechichi qui, rappelons-le, dès la première semaine de son entrée au Palais de la Kasbah, a déclaré la guerre au président de la république en allant chercher l’appui de ses adversaires politiques : Ennahdha, Qalb Tounes et Al-Karama.
Faire redémarrer la machine économique
M. Saïed a certes perdu beaucoup de temps avant de trouver l’oiseau rare – plus de deux mois après le limogeage de M. Mechichi -, alors que tous les acteurs politiques à l’intérieur et les partenaires extérieurs de la Tunisie lui demandaient d’accélérer le processus car la situation générale dans le pays ne pouvait supporter une prolongation de l’atmosphère d’incertitude politique qui y régnait et qui, d’ailleurs règne encore, car la formation du gouvernement va durer encore un certain temps, même si la procédure va être beaucoup plus simple que d’habitude, Mme Bouden devant consulter le big boss seulement et, vis-à-vis des autres acteurs de la scène, veiller au maintien d’un équilibre raisonnable, afin que ses décisions (et elle va devoir en prendre et des plus impopulaires) ne soient pas frontalement contrariées…
Il y a quelques jours, le chef d’une représentation diplomatique me faisait part de son inquiétude et de celle de ses collègues européens en poste à Tunis face à ce qui est ressenti par eux comme de l’immobilisme présidentiel. «Tout fonctionne au ralenti. L’administration est en hibernation en plein été. Et nos ressortissants opérant en Tunisie voient leurs dossiers en cours de traitement totalement bloqués et commencent réellement à s’impatienter. Ils nous posent des questions auxquelles nous mêmes n’avons pas de réponse et cela n’est pas dans l’intérêt de votre pays qui a besoin de voir son économie reprendre rapidement», me confiait-il, en déplorant que la Tunisie ne profite vraiment pas de la reprise économique en cours en Europe, région qui représente pourtant 70% de ses échanges. «Nous ne cherchons pas à nous immiscer dans les affaires internes de la Tunisie. Les Tunisiens sont assez mûrs pour gérer leurs problèmes tous seuls et de faire les choix qu’ils estiment dans leur intérêt. Notre seul souci, c’est l’ordre et la stabilité dans votre pays, car tout désordre à nos frontières sud pourrait nous affecter négativement», a-t-il ajouté dans une limpide allusion aux flux de l’immigration clandestine qui se sont intensifiés ces derniers temps et qui constituent désormais un problème pour tous les pays européens.
Tout cela pour dire qu’il n’est jamais trop tard pour rattraper le temps perdu, rectifier le tir et relancer la machine de production, presque totalement grippée. Et on ne vas pas maugréer parce que le président n’a consulté aucun des acteurs politiques s’agitant dans le marigot, à commencer par les organisations nationales comme l’UGTT et l’Utica qui étaient habituellement associées à ce genre de décisions engageant forcément leurs membres et dont elles subiront à un moment ou un autre les conséquences.
Sachons oublier nos egos et privilégions l’intérêt public !
Le débat qui n’a pas eu lieu directement avec la présidence de la république pourrait aujourd’hui se déployer au niveau du Premier ministre, qui va être confronté directement aux problèmes économiques et sociaux, et des membres du gouvernement, chacun selon son domaine d’intervention. L’essentiel est d’avoir la conscience des difficultés du moment, des sacrifices qui devraient être faits par chacun pour que la barque ne coule pas.
Il y aura toujours le temps pour la politique, mais ne nous laissons pas enfermer dans ses interminables débats. Sachons oublier nos egos, privilégier l’intérêt public et respecter les priorités ! C’est, à notre humble avis, le message que M. Saied a voulu lancer à la classe politique en nommant une femme, commis de l’Etat qui a une fibre sociale (elle s’était occupée de l’emploi des diplômés au sein du ministère de l’Enseignement supérieur), à la tête d’un gouvernement qui, par sa vocation même, n’aura pas à s’empêtrer dans les méandres des conflits politiques qui ont causé au pays, au cours des dix dernières années, une lente mais sûre descente en enfer.
Allons-nous saisir ce message et y réagir positivement ou allons-nous, au contraire, continuer à nous «entretuer» et à détruire notre pays, comme si nous ne l’avons pas déjà assez détruit ?
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