Habitués depuis dix ans à souffler le chaud et le froid sur le pays, à faire et à défaire les gouvernements et à malmener les chefs de gouvernement successifs, l’indéboulonnable Union générale tunisienne du travail (UGTT) enrage contre l’actuel président de la république Kaïs Saïed qui ne se laisse pas intimider par cette nomenklatura et refuse de se faire dicter ses décisions par elle. Cependant, ceux qui, en pleine pandémie, ont modifié le règlement intérieur de l’organisation pour lever la limitation des mandats à sa tête et s’y maintenir ad vitam æternam ne sont pas prêts à se laisser confisquer le pouvoir qu’ils se sont vu reconnaître au cours de la décennie écoulée par une classe politique lâche, opportuniste et corrompue. Décryptage.
Par Imed Bahri
La «mandhouma» (système) de l’après 14 janvier 2011, qui a mis la Tunisie à genoux et au bord de la faillite, se fonde sur un entre-soi destructeur composé de la partitocratie vomie par les Tunisiens le 25 juillet dernier, d’une puissante centrale syndicale dont les dirigeants sont aussi indéboulonnables qu’irresponsables et d’une poignée d’affairistes véreux nourrissant ce système afin de pérenniser leurs privilèges.
Cette nauséabonde «mandhouma» portée par de petits arrangements («combinaziones» qui font le sel de la vie politique dans l’Italie voisine), si destructrice pour le pays et nuisible pour les intérêts de ses honnêtes citoyens, est très lucrative pour ses tenanciers. Elle vacille certes depuis l’annonce des «mesures exceptionnelles» le 25 juillet dernier, mais elle est loin encore de s’avouer battue. Mieux ou pis : elle résiste à tout changement avec toute l’énergie de la survie.
Le débat national, bouée de sauvetage du système
Teigneux, ce système s’accroche pour ne pas mourir. Et comme à chaque fois qu’il vacille, la nomenklatura de l’UGTT, qui figure parmi ses plus grands privilégiés, exige un débat national où l’organisation voudrait, bien entendu, jouer le rôle de dynamo et dont le principal objectif serait la réhabilitation d’une partitocratie aujourd’hui agonisante.
Le débat national est la lubie de cette bande de malfaiteurs, la recette magique qu’ils sortent à chaque fois que ça va mal pour eux. C’est leur bouée de sauvetage. La méthode est déjà rodée : pour que le système ne meurt pas, on organise un débat national pour le régénérer. Les fameux «Carthage I», «Carthage II» et «Carthage on se sait plus combien», qui rassemblent tous les margoulins de la république dans un interminable conclave pour accoucher de gouvernements faibles à la merci de l’UGTT, n’ont jamais servi à rien, sauf à ruiner davantage le pays, à légitimer une classe politique dénuée de toute crédibilité et à maintenir le système corrompu en place. Taboubi et sa bande, à court d’idées ou se croyant plus malins que les autres, pensent que leur méthode pour régénérer à chaque fois le système n’a pas été démasquée. Or, elle l’a été depuis longtemps et les Tunisiens ne comptent pas continuer à se laisser berner par une nomenklatura ayant déjà perdu tout honneur.
En fait, les masques sont tombés et la méthode ne marche plus. Et Kaïs Saïed, en phase avec le peuple qui l’a élu et qui continue de la soutenir massivement, veut la mort de ce système corrompu et destructeur et refuse d’avaliser ce débat de faux-culs qui ne cherchent qu’à maintenir un système largement périmé. Déjà, cet hiver, en plein bras-de-fer avec l’ex-chef de gouvernement Hichem Mechichi, le chef de l’État l’a poliment rejeté, ce qui n’a pas du tout plu à la très arrogante UGTT, habituée aux salamalecs et aux courbettes de la très servile partitocratie tunisienne.
Aujourd’hui, les dirigeants des partis politiques se prosternent aux pieds de l’UGTT et l’exhortent de faire pression sur Saïed pour qu’il se résigne à lancer un débat national dont elle serait le pivot et qui leur permettrait de se remettre en selle, alors qu’ils sont déjà tous au chapitre de la mort. Mais Saïed, droit dans ses bottes et déterminé à libérer le pays de cette «mandhouma» clientéliste et mafieuse, continue de leur tenir tête. Il admet certes la nécessité d’un débat national, mais pas avec les principaux responsables de la situation chaotique actuelle dans le pays. Ce débat, dont les contours restent encore à définir, devrait porter sur les réformes fondamentales à mettre en œuvre pour assainir un pays gangrené par la corruption.
«Abir El-Watan» avec Taboubi et contre Kaïs
Aujourd’hui, la partitocratie mourante compte sur l’UGTT pour livrer une guerre par procuration au chef de l’Etat. Même Abir Moussi qui, les mois précédents, refusait le dialogue national prôné par l’UGTT pour les mêmes motifs invoqués par Saïed et qui a critiqué d’une manière acerbe Taboubi, flirte aujourd’hui de nouveau avec lui et le soutient contre Saïed. Elle s’est rangée de son côté avec les autres partis dans la guerre que commence à livrer la nomenklatura de l’UGTT contre le président. D’ailleurs, ses partisans, qui la surnomment «Abir el-watan» (littéralement : parfum de la patrie, appréciez ce mielleux culte de la personnalité qui nous rappelle de bien tristes souvenirs!) défendent avec beaucoup de zèle Taboubi et s’acharnent contre Saied, qui fait beaucoup d’ombre à la présidente du PDL, laquelle envie le président de la république (ou lui en veut) pour avoir réussi à mettre fin au règne des Frères Musulmans d’Ennahdha, rôle historique auquel elle se destinait elle-même.
Cependant, Taboubi a beau déclarer avec arrogance, hier, samedi 23 octobre 2021, que l’avenir du pays ne peut se dessiner sans l’UGTT et que Saïed doit lui faire des propositions et que c’est à lui d’accepter ou de refuser, il ne fera pas fléchir le locataire de Carthage qui ne supporte pas qu’on lui fasse du chantage et devient encore plus rigide et déterminé dans ses batailles, fourbissant les armes à sa disposition, dont la plus importante est le soutien massif du peuple.
L’UGTT coûte une fortune à l’État qu’elle ruine
La centrale syndicale est richissime avec des investissements dans l’assurance, dans l’immobilier et dans le tourisme et continue de pomper cyniquement beaucoup d’argent à un État en quasi-faillite. L’UGTT a reçu différents montants qui ont atteint plus de 20 millions de dinars durant la période 2010-2017 via la caisse spéciale de l’État (créée par la loi de finances en 1975) qui est un fonds financé et géré par la CNSS et c’est uniquement le chef du gouvernement qui décide d’octroyer des montants de ce fonds.
L’UGTT reçoit aussi, en application du décret datant de 1997 et modifié en 2002, des subventions de la part de l’État. Des agents publics sont également mis à sa disposition ce qui coûte également une fortune à l’État. Sans parler des choix économiques désastreux imposés par l’UGTT qui ont empêché la reprise économique, aggravé l’inflation et ruiné le pays. Aussi Saïed doit-il mettre fin à ces gaspillages systématiques qui coûtent très cher à l’État, d’autant que la guerre que lui livrent aujourd’hui Taboubi et sa bande (et à travers lui l’État dans son ensemble) risque de fatiguer davantage une Tunisie au chapitre de la banqueroute.
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