À l’approche de la COP26, la politique climatique mondiale connaît une profusion d’annonces qui seront mises à l’épreuve durant les deux premières semaines du mois de novembre 2021. Entre pays ayant établi des objectifs de neutralité carbone pour 2050 (les États-Unis et l’Union Européenne) et d’autres plutôt vers 2060 (la Russie, la Chine), le défi majeur réside non dans les dates butoirs, mais dans la transformation de ces promesses tonitruantes en de véritables actions concrètes et d’établir des mécanismes de mise en œuvre transparents, capables d’entraîner de réelles réductions des émissions. La société civile internationale interpelle déjà les chefs d’États à atteindre un ‘’vrai zéro’’ fondé sur des transformations réelles pour éviter que ces objectifs de neutralité ne soient des couvertures pour le business-as-usual.
Par Nidhal Attia, expert en climat *
Des années passent depuis la naissance du processus des COP, de même que les négociations…se succèdent. Des négociations sur le climat sans envergure, ni des résultats notables s’enchaînent, sans que cela puisse apporter des résultats significatifs. À l’issue de chaque sommet, nous nous contentons de quelques décisions qui probablement réconfortent l’esprit des négociateurs et des pays riches mais, demeurent sans nul doute, loin des attentes de la société civile internationale et des exigences de la situation actuelle très particulière où les effets du changement climatique sont plus que jamais, une véritable menace.
Des solutions radicales et audacieuses sont attendues cette année pour rompre avec les fausses promesses et pour redonner à la diplomatie climatique son noble sens. Toutefois, de telles décisions doivent non seulement garantir la transparence requise en relation avec la mise en œuvre des, mais encore et surtout, renforcer l’esprit de solidarité entre les pays développés et les pays fortement impactés, de même que ceux considérés comme vulnérables. Sans nul doute, la lutte contre le changement climatique et ses impacts inéluctables nécessitent des efforts à grande échelle, c’est à dire planétaire, judicieusement orchestrés et soutenus par des puissantes politiques climatiques et une action climatique méthodique, coordonnée qui aille dans le même sens et qui soit à la hauteur du défi climatique.
État des lieux de la réduction des émissions
Plus tôt cette semaine, le Programme des Nations Unies pour le Développement (Pnud) a partagé son rapport annuel sur l’état des lieux de la réduction des émissions des gaz à effet de serre (GES) pour 2021. Le rapport intitulé ‘’The Heat is On’’ conclut que les engagements pris pour 2030 et ceux relatifs à la neutralité carbone nous mettent sur une trajectoire d’émission qui atteindra les 2,7°C vers 2100. Ce qui implique que ce chiffre est en deçà de celui de 2019, où les engagements nous menaient vers 2,9°C à la fin du siècle en cours. Par conséquent ce résultat est considéré comme insuffisant pour rester au-dessous des 1,5°C défendus par les scientifiques et ciblés par l’Accord de Paris (article 2 de l’Accord).
Afin d’éviter des conséquences climatiques désastreuses et rester au-dessous des 1,5°C, le rapport souligne qu’il faut réduire de moitié les émissions mondiales pour chacune des huit prochaines années. Pour rappel, nous sommes déjà à environ 1,2°C d’augmentation de la température moyenne sur Terre depuis la période pré-industrielle.
Il est donc clair que nous devons afficher davantage nos ambitions et faire preuve de plus de fermeté pour réussir la COP26. Tout doit se faire dans les règles de l’art, c’est-à-dire mettre en exergue la solidarité et faire en sorte que les engagements pris soient crédibles et réalistes. Bien évidemment, les grandes économies mondiales ont la responsabilité de guider l’action climatique et de montrer la voie aux autres parties signataires de la convention onusienne sur le climat. A quelques jours de la très attendue COP26 à Glasgow, en Écosse, plusieurs questions se posent et de manière légitime quant à l’engagement des pays riches.
Les positions récentes des grands pays émetteurs
Dans la seconde partie de mon exposé, je présenterai un aperçu des positions récentes annoncées par certains pays émetteurs. Ces positions influenceront certainement les pourparlers et seront perçues comme des messages clés par les autres États membres de la Convention, avant le démarrage de la COP26 prévu pour ce dimanche.
Russie : la COP26 se déroulera sans le président russe Vladimir Poutine. Le Kremlin n’a pas expliqué les raisons de son absence, mais a tenu à assurer que le dossier climatique figure toujours parmi les priorités de la Russie.
Retarder la transition énergétique n’est plus une attitude viable pour la Russie sur le plan économique puisque les exportations russes de métaux et de combustibles fossiles dépendent fortement d’une Union Européenne qui est en phase de conversion vers le renouvelable et vers une économie sobre en carbone. De même, les données scientifiques attestent que certains territoires russes se réchauffent deux fois plus vite que la moyenne mondiale. Ce qui explique en partie les incendies de forêts record en juin 2021 en Sibérie, ou encore la vague de chaleur historique à Moscou durant le même mois.
La Russie avait déjà présenté ses objectifs de neutralité carbone vers 2060 mais, attisent les critiquent en se basant sur la quantité de carbone absorbée par les forêts plutôt que de prendre en compte les nécessaires et radicales réduction des émissions.
États-Unis : sans surprise, l’actuel président Joe Biden ne ratera pas l’inauguration de ce 26e sommet du climat et sera présent avec une délégation renforcée de hauts-représentants, dans le but de manifester la sensibilité de son gouvernement pour la cause climatique. Il faut savoir que le programme climatique national de Biden, à travers lequel il entend remplacer rapidement les centrales électriques nationales alimentées au charbon et au gaz par de l’énergie éolienne, risque d’être compromis à cause de l’opposition obstinée d’un sénateur démocrate qui détient un vote décisif. Une autre figure américaine se rendra à Glasgow. Il s’agit de l’ancien président, Barrack Obama qui se rendra à Glasgow pour participer à la COP26 dans l’optique de soutenir les jeunes selon le journal Reuters.
La participation du deuxième plus grand émetteur de GES devrait réaffirmer l’engagement des États-Unis dans la politique climatique mondiale après le quinquennat de Donald Trump qui a complètement marginalisé le dossier climatique. Dans la même optique, la première économie mondiale devrait encourager et inciter les pays riches, encore réticents comme l’Australie, à se doter de plans ambitieux et robustes.
Allemagne : de l’autre côté de l’Atlantique, la coalition allemande fraîchement élue fera probablement le déplacement en Ecosse pour réitérer ses promesses d’abandonner le charbon, qui est la principale source d’énergie en Allemagne. Les membres de la coalition ont déjà annoncé qu’une sortie du charbon vers 2030 s’impose pour verdir la plus grande puissance économique en Europe et pour limiter sa dépendance aux énergies fossiles.
Royaume-Uni : concernant l’engagement du pays hôte, le premier ministre Boris Johnson aborde la COP26 avec un programme de neutralité carbone ambitieux, considéré par le Comité Britannique sur le Changement Climatique (Commitee on Climate Change), parmi les plans les plus ambitieux du G20. En effet, après plusieurs reports, ce plan vient donner plus de crédibilité au pays qui présidera le sommet. Le premier ministre admet tout de même la complexité de la mission et ne cache pas sa grande inquiétude que la COP26 ne parvienne pas à livrer des décisions à la hauteur de l’évènement.
La Chine figure parmi les pays à suivre de près durant la COP26 puisque le pays a envoyé un signal fort à la communauté internationale en septembre, en s’engageant à atteindre le pic des émissions avant 2030, de sorte que la neutralité carbone soit réalisée vers l’horizon de 2060. D’ailleurs, il est attendu que le pays présente ses objectifs actualisés de réduction des émissions dans la foulée de la COP26. Le président chinois Xi Jinping ne devrait pas assister à la réunion en personne, mais y participera à distance. La Chine sera donc représentée à Glasgow par l’envoyé pour le climat et le vice-ministre de l’environnement.
L’Inde est le troisième plus grand émetteur des GES. La mise à jour de ses engagements est encore attendue, notamment après le dépassement de l’échéance établie par la CCNUCC pour le 12 octobre. Il est possible que l’Inde s’engage à réduire entre 46 et 48% son intensité carbone. La neutralité carbone de son économie reste repoussée par le gouvernement indien qui estime que cela va à l’encontre des plans et des besoins de développement de son pays.
Australie : le premier ministre Scott Morisson a annoncé les plans de son gouvernement pour la neutralité carbone vers 2050 sans s’exprimer sur les objectifs de baisse des émissions de son pays établis en 2015. Nous pouvons donc comprendre que l’Australie se projette sur le long terme, après plusieurs années d’inaction climatique, sans intervenir au niveau de ses objectifs intermédiaires de 2030. D’ailleurs, le nouveau plan climatique australien fait face à des critiques virulentes, notamment de la part de l’opposition et du Parti Travailliste qui le qualifie d’ »arnaque’’. Le pays continent, considéré comme un géant des énergies fossiles, du fait de sa forte production et son exportation du charbon, se trouve classé dernier (31e) dans la liste des efforts déployés par les pays riches, en matière de réduction des émissions et d’augmentation des ambitions. Ainsi, l’Australie pourrait subir une pression internationale pour renforcer ses engagements en matière de climat.
Le G20 : dans une lettre adressée cette semaine aux pays membres du G20, les Nations Unies les exhortent à durcir leurs engagements considérés comme faibles, notamment après la parution du dernier rapport d’évaluation du GIEC en août, intitulé ‘’Code Rouge pour l’humanité’’ et qui assoit que des réductions immédiates et radicales des émissions sont nécessaires. Les Nations Unies appellent aussi les pays du G20 à mettre fin au financement des nouveaux projets à base de combustibles fossiles.
À l’approche de la COP26, la politique climatique mondiale connaît une profusion de décisions et d’annonces qui seront mises à l’épreuve durant les deux premières semaines du mois de novembre. Entre pays ayant établi des objectifs de neutralité carbone pour 2050 (les États-Unis et l’Union Européenne) et d’autres plutôt vers 2060 (la Russie, la Chine), le vrai défi réside dans la transformation de ces promesses en de véritables actions concrètes et d’établir des mécanismes de mise en œuvre transparents, capables d’entraîner de réelles réductions des émissions.
Face à ces annonces qui émergent chaque jour, il faut faire attention à ne pas galvauder le principe de neutralité carbone et le vider de son sens avec les pratiques du greenwashing et les fausses promesses qui ne feront que retarder l’action. Par conséquent, compromettre l’avenir et contraindre les communautés touchées par les impacts du changement climatique à subir davantage les effets ingérables de la crise climatique. La société civile internationale reste sereine et ne faiblit pas face aux tentatives de détourner le débat de la vraie action climatique vers des demi-mesures. D’ailleurs, c’est son rôle de rester à l’affût des manigances des pays riches et des lobbies qui s’incrustent dans les débats.
Les pourparlers s’annoncent mouvementés et tous les scénarios sont possibles dans cette cruciale COP26.
* Coordinateur du programme de développement durable et des politiques environnementales à la Fondation Heinrich Böll.
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