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A propos de la mystérieuse «libération» des frères Nabil et Ghazi Karoui

La réapparition inattendue des frères Nabil et Ghazi Karoui dans une vidéo diffusée hier, samedi 6 novembre 2021, via les réseaux sociaux et largement relayée par les médias, pose de nombreuses questions et interpelle plusieurs parties. Car les deux hommes, poursuivis en justice en Tunisie pour évasion fiscale, corruption financière et blanchiment d’argent, et censés être incarcérés en Algérie, où ils sont poursuivis pour entrée illégale sur le territoire, ne devaient normalement pas se trouver à Barcelone, en Espagne, où ils auraient été vus hier.

Par Imed Bahri

D’abord, les faits : un Tunisien a posté, hier soir, une vidéo, où l’on voit les deux sulfureux hommes d’affaires se promener dans les rues de Barcelone. Il n’y a aucun doute possible sur leur identité et il ne faut pas être un grand physionomiste pour les reconnaître, d’autant que les images, tournées à leur insu, étaient très claires. Et même le doute sur la date de la prise de vue est vite balayé par le fait que des badauds montrés par la même vidéo portaient des masques de protection contre la Covid-19, or les deux patrons de Nessma TV étaient interdits de voyage en Tunisie depuis 2019, date du démarrage des poursuites judiciaires lancées contre eux et ils n’auraient pas pu quitter la Tunisie, qui plus est ensemble, avant leur fuite du pays fin juillet dernier, avec l’aide de passeurs, à travers la frontière tuniso-algérienne.

Deux fuyards, deux «justices» et un même mystère

Arrêtés en Algérie, incarcérés et poursuivis en justice pour entrée illégale sur le territoire, on a annoncé leur libération, fin octobre, avant que cette information émanant de sources médiatiques algériennes ne soit formellement démentie par leurs propres avocats. Que s’est-il donc passé, entre-temps, pour qu’ils se retrouvent aujourd’hui en Espagne ? Comment ont-ils rejoint ce pays ?

On peut difficilement imaginer qu’il aient pu le rejoindre les côtes ibériques au terme d’une traversée clandestine ni qu’il aient pu passer par le Maroc, les frontières algéro-marocaines étant fermées depuis longtemps. Ils ont donc dû quitter le territoire algérien le plus légalement du monde et, très probablement, via un vol commercial, si ce n’est sur le jet privé de l’un de leurs amis algériens, où ils disposent de relais dans le milieu des milliardaires proches des cercles du pouvoir.

Et là on en revient à une autre série de questions : les frères Karoui ont-ils été relaxés par la justice algérienne, dont la rigueur en matière d’application de la loi n’est pas la principale qualité. Ont-ils été libérés dans le cadre d’un arrangement politique (avec les autorités tunisiennes ?), d’un gentleman agreement entre les deux fuyards et les autorités algériennes ou même d’une transaction sonnante et trébuchante ? Là où nous en sommes, c’est-à-dire acculés aux supputations, les mystères s’accumulant autour de cette affaire, on ne peut raisonnablement écarter aucune hypothèse.

Une série télévisée turque

Soit, donc, mais tout en étant contents pour la liberté retrouvée des frères Karoui et en leur souhaitant une heureuse sortie de cet imbroglio politico-judiciaire où ils se sont empêtrés à l’insu de leur propre gré, ce nouvel épisode du feuilleton rocambolesque digne d’une série télévisée turque diffusée par Nessma TV vient remuer, dans notre esprit, des interrogations antérieures sur les décisions inconséquentes, incompréhensibles et parfois même contradictoires de la justice tunisienne qui, dans cette affaire comme dans beaucoup d’autres, n’a pas brillé par sa rigueur et sa cohérence.

Les deux hommes, rappelons-le, ont été incarcérés puis libérés puis réincarcérés puis encore libérés (Ghazi devait aussi l’être mais il a échappé à la prison par la grâce de son immunité parlementaire), interdits de voyage et leurs avoirs gelés, puis l’interdiction de voyage et le gel des avoirs levés, sans qu’on comprenne ou qu’on nous explique les raisons ayant justifié, aux yeux des différents juges tunisiens, ces décisions contradictoires que les ambiguïtés de la loi tunisienne et la trop grande liberté d’interprétation que s’octroient les juges ne sauraient expliquer et encore moins justifier.

La «justice des couloirs»

Ceux qui parlent aujourd’hui de plus en plus ouvertement des «couloirs de la justice» ou de la «justice des couloirs», notamment Raoudha Karafi, présidente d’honneur de l’Association des magistrats tunisiens (AMT), à laquelle on ne peut que faire confiance, trouvent dans la gestion chaotique de cette affaire le meilleur argument pour accuser certains juges d’être sous influence politique, complaisants ou carrément corrompus. Et on peut difficilement les démentir…

Par ailleurs, lorsque le président Kaïs Saïed interpelle les juges à propos du laxisme que certains d’entre eux montrent dans le traitement des affaires impliquant les gros poissons du système de corruption politico-financière, on ne peut que lui donner raison et, par conséquent, s’étonner de la moue que font les ténors de cette corporation qui est en passe de confondre indépendance et impunité.

En attendant d’en savoir un peu plus sur la suite de l’affaire des frères Karoui, maintenant que les deux compères semblent libres de leurs mouvements et qu’ils disposent tout aussi librement des montants déposés dans leurs comptes bancaires ouverts en toute illégalité à l’étranger, nous en sommes réduits à faire part aux Tunisiens de nos indignations et de nos écœurements.

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