Nous reproduisons ci-dessous la traduction française du long post Facebook publié par l’ancien ministre Mohamed Abbou où il énumère les erreurs du président de la république Kaïs Saïed depuis le 22 septembre 2021 et les occasions précieuses qu’il est en train de faire perdre aux Tunisiens qui l’ont soutenu dans sa démarche réformatrice, et l’avertit contre les dérives de son régime et les risques que, par ses entêtements et ses autismes, il est en train de faire courir aux Tunisiens.
Par Mohamed Abbou *
Imposer les lois à tout le monde sans distinction est un bon slogan qui peut devenir une pratique quand le fonctionnaire est sérieux, indépendant de tout centre d’influence, et quand sa priorité est de servir les intérêts de son peuple plutôt que d’essayer de le satisfaire avec des slogans aussi longtemps que possible avant la chute collective.
En plus d’être une grave erreur d’un point de vue politique, qui nuit beaucoup à l’image du pays, laquelle était déjà mauvaise ces dernières années, aggravée par la mauvaise gestion de Kais Saied, l’autorisation d’ouvrir une enquête judiciaire contre l’ancien président Moncef Marzouki, puis l’émission d’un mandat d’amener international à son encontre sont une grave erreur sur le plan juridique. Et pour cause : nous avons un système judiciaire auquel le monde ne fait pas confiance et un système de gouvernance caractérisé par la corruption, le désordre et l’incapacité à se réformer, qui a conduit au fil des ans à la perte de confiance dans l’État, dans la stabilité politique, dans l’économie, dans l’attraction des investissements, dans l’avenir et dans la capacité des gouvernements à remplir leurs obligations.
Sur quelle base légale Moncef Marzouki peut-il être tenu responsable ? Il n’y a pas de crime sans texte et il n’y a aucun moyen d’élargir l’interprétation du code pénal, et de faire des parallèles. L’homme n’a pas dit qu’il avait contacté les agents d’un pays étranger, alors comment sera-t-il jugé ? Il suffit de relire le texte afférent pour se rendre compte de la méprise. Relisez le deuxième alinéa de l’article 61 bis du code pénal, ajouté par le régime de Ben Ali en juin 2010 pour s’attaquer à ses opposants qui dénonçaient ses crimes, et qui a été aboli par décret après la révolution (le 14 janvier 2011, Ndlr).
A l’annonce, dans la nuit du 25 juillet 2021, de l’application de l’article 80 (de la Constitution, Ndlr), le but recherché était principalement de démanteler le système de corruption politique et de le dévoiler au peuple, avec des mesures fortes, rapides et susceptible d’êtres mise en œuvre efficacement, à condition que la justice achève les procès qui auront été lancés, qu’après la fin des procédures exceptionnelles, le président pourra continuer à honorer ses fonctions, que tout le monde aura eu, entre-temps, la confirmation qu’il est en mesure d’intervenir lorsque les institutions de l’État auront à nouveau dévié, et qu’après la dissolution du parlement conformément aux dispositions de la Constitution, les élections législatives pourront alors avoir lieu.
Malheureusement, M. Saïed choisit à chaque fois de s’attaquer à des problèmes marginaux et fuit les problèmes sérieux qui peuvent garantir des élections équitables dans lesquelles il n’y a pas d’argent corrompu, de médias financés par l’étranger et d’achat de voix.
Il y a des dossiers concernant des hommes politiques qui ont été impliqués dans la corruption, dont certains sont devant la justice. Pourquoi M. Saïed ne s’y intéresse-t-il pas, alors qu’ils sont plus importants que de s’attaquer à des opposants, comme M. Marzouki, avec qui beaucoup sont en désaccord, mais aucune personne avisée ne peut lui attribuer des faits de corruption ou un simple intérêt pour l’argent, contrairement à la plupart des politiciens, ni l’accuser de trahir son pays?
Qui protège aujourd’hui les politiciens corrompus de Kaïs Saïed? Des pays amis ou frères sont-ils intervenus en leur faveur? Ou le président de la république n’est-il pas intéressé par la lutte contre la corruption ?
On ne peut plus prétendre aujourd’hui que la sécurité cache des dossiers et que la justice protège les politiciens corrompus. La justice, qui réalise des temps records en matière de répression des opposants, sans même sentir le besoin de s’appuyer sur des textes et des procédures solides, ne refusera pas d’ouvrir des dossiers de corruption majeurs lorsqu’ils lui parviennent de la présidence de la république et lorsque celle-ci lui demande par l’intermédiaire du ministère de la Justice d’activer les dossiers de corruption gelés.
M. Saïed doit comprendre qu’en ne menant pas cette bataille avec tout le sérieux et la diligence requis pour revenir rapidement au fonctionnement normal des institutions de l’État, en n’annonçant pas clairement l’abandon de son projet de révision de la constitution, de la loi électorale et de la loi relative au Conseil supérieur de la magistrature, ainsi que l’idée de fixer des décrets qui seraient appliqués après la période de l’état d’exception…, sans tout cela, il mènerait le pays vers le chaos. Dans tous les cas, il ne réaliserait aucun de ses propres rêves qui ne concernent personne d’autre.
Plus que cela, lorsque son aventure sera terminée, les corrompus feront un retour triomphal et célébreront notre incapacité à tous à mettre fin à leur projet de destruction de l’État. Ce sera alors une perte sur les plans psychologique et moral encore plus grande que toutes les pertes économiques, financières et diplomatiques que nous avons subies à cause de la mauvaise gestion, de l’ambition personnelle et des discours convulsifs qui visent à tromper le peuple.
Aucune personne saine d’esprit n’a intérêt à souhaiter l’échec de M. Saïed, ni à se préparer à le renverser par tous les moyens, en se basant à son manque de légitimité à partir du 22 septembre, car le coût pour la patrie en serait terrifiant. Mais une question demeure : M. Saïed est-il conscient de tout cela ? Est-il en mesure d’estimer les risques (qu’il fait courir au pays, Ndlr)? Sait-il que le sort de la patrie dépend désormais de sa personne ? Y a-t-il une personne sensée pour le conseiller ?!
Traduit en français par Imed Bahri
* Ministre d’État chargé de la Fonction publique, de la Gouvernance et de la Lutte contre la corruption.
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