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Les Tunisiens et la langue française

A droite, siège de Beit Al-Hikma à Carthage.

Certes, aujourd’hui, l’anglais reste une langue planétaire qui favorise l’échange et la diffusion des savoirs parmi les hommes. Mais, une langue n’est pas uniquement un instrument de médiation et de communication, elle est aussi véhicule d’une culture et de valeurs, surtout lorsque certaines de ces valeurs touchent à l’universel, ce qui est le cas du français. En fait, en adoptant une langue, c’est tout un espace culturel qu’on conquiert et qui vient enrichir le nôtre. C’est le cas de nous autres Tunisiens dans nos rapports avec la langue française.

Par Salah El-Gharbi *

La publication, sous la direction du Pr. Alia Baccar Bornaz, des actes du colloque organisé en décembre 2020 à Beït al Hikma, autour de «La littérature francophone en Tunisie», constitue à plusieurs titres un événement d’une grande importance. Non seulement la parution de cet ouvrage qui réunit les contributions d’universitaires et d’auteurs aux différentes sensibilités autour de cette question, devrait nous faire, dans une certaine mesure, oublier le honteux report du sommet de la francophonie, initialement prévu pour les 20 et 21 novembre 2021 à Djerba, en Tunisie, avant d’être reporté au même mois de l’année prochaine, mais aussi, elle offre aux lecteurs une sorte de bilan de quelques décennies de création en langue française dans notre pays.

Approche apaisée et regard distancié

Ainsi, l’ensemble des textes que contient l’ouvrage est le fruit d’une rencontre de deux jours faite d’échanges libres, fructueux et sereins sur notre rapport, souvent tumultueux, à la «langue de l’ancien dominant». Malgré la pandémie, et dans un climat politique morose et agité, les participants à cette rencontre ont eu l’occasion de réfléchir, de témoigner, d’échanger leurs points de vue sur «le passé, le présent et le devenir» de la langue française en Tunisie.

L’ambition des intervenants était de traiter la question de la francophonie en adoptant une approche apaisée et un regard distancié en rupture avec les débats houleux et passionnés où l’idéologique l’emporte sur le bon sens et où l’on est assez souvent, dans la méfiance outrancière et rarement dans la délibération.

«Lorsqu’on constate aujourd’hui que des congrès se déroulant en France utilisent uniquement l’anglais, on est en droit de se demander quel est l’avenir de la langue française», déclare un de nos éminents professeurs, corroborant un discours qui a, depuis quelque temps, les faveurs du grand public, mais qui omet de s’interroger sur l’impact de l’anglophonie sur l’évolution intellectuelle et scientifique de tout le Moyen-Orient.

Dépasser la méfiance à l’égard de l’«Autre»

Certes, aujourd’hui, l’anglais reste une langue planétaire qui favorise l’échange et la diffusion des savoirs parmi les hommes. Mais, une langue n’est pas uniquement un instrument de médiation et de communication, elle est aussi véhicule d’une culture et de valeurs, surtout lorsque certaines de ces valeurs touchent à l’universel, ce qui est le cas du français. En fait, en adoptant une langue, c’est tout un espace culturel qu’on conquiert et qui vient enrichir le nôtre.

Au XIe siècle, quand, un jour, l’imam Al Ghazali, décréta qu’il fallait cesser de traduire les textes dans la langue de «l’Autre», celle de Ptolémée et d’Aristote, il ne visait pas le grec en tant qu’idiome mais plutôt, la culture qui lui est sous-jacente et qu’il jugeait subversive, menaçant le pouvoir.

Neuf siècles après, si les cibles changent, la méfiance à l’égard de l’«Autre», hélas, persiste encore tout en prenant des formes différentes.

* Universitaire et écrivain.

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