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La promotion économique en Tunisie entre chauffeurs et pilotes

Le 21 octobre 2021, en conseil ministériel, Kaïs Saïed faisait un constat alarmant sur l’issue des politiques tunisiennes en matière de promotion des investissements : «Depuis soixante ans, nous encourageons les investissements sans que ces investissements ne soient réellement encouragés». Il est clair que le président de la république exprimait une profonde déception à l’égard des résultats donnés par ces différentes politiques.

Par Mokhtar Chouari *

En dehors du besoin qu’éprouve le pays pour des nouveaux investissements qui auraient à faire bouger le taux de croissance, chaque nouvel investissement a le mérite de donner une lueur d’espoir pour les générations dont l’aspiration à une vie meilleure commence à se dissiper, sinon à s’éteindre. En sa qualité de premier responsable, depuis le 25 juillet, du quotidien et de l’avenir des Tunisiens, le président est bien en droit de se poser la question.

Lois, textes règlementaires, structures d’appui… et quoi encore ?

En effet, les lois, textes règlementaires, structures d’appui… ce n’est pas ça qui a manqué. Certaines institutions internationales reprochent à la Tunisie une certaine inflation au niveau de l’arsenal juridique et institutionnel, alors que sur d’autres terrains en rapport immédiat avec l’acte d’investir, les défaillances ne semblent pas préoccuper autant les parties prenantes.

Certains se posent la question si par hasard, les définitions de «stratégie», «loi», «investissement», «promotion» ne seraient pas mal comprises pour être satisfaites par des mesures ou politiques opérationnelles et efficientes. Le doute serait plus que fondé quand on sait que les primes, exonérations, déductions, soit l’ensemble de la batterie des incitations fiscales et financières, n’ont parfois même pas réussi à produire l’effet espéré sur le terrain.

Les diagnostics opérés occasionnellement, suite à la parution d’un rapport international critique, ou à une déclaration officielle qui interpelle, n’ont jamais mis le doigt sur la vraie plaie. Produits souvent par des fonctionnaires du quotidien suite à une demande expresse, ces diagnostics n’ont jamais abouti à des analyses et des solutions. Ils ont souvent fait de repousser le verdict : celui de l’échec enfin reconnu.

Les fonctionnaires en charge de produire des notes d’évaluation ou des propositions en rapport avec les politiques de promotion et entraves à l’investissement seraient-ils les mieux indiqués pour le faire? Certainement pas. Quand on sait que l’essentiel de la littérature mondiale produite autour de l’investissement est en anglais, la certitude se justifie davantage. Une tradition de l’administration tunisienne fait qu’un diagnostic, ou note d’analyse est faite en premier en arabe pour la consommation hiérarchique locale et puis traduite en français ou en anglais, si elle est destinée à chercher l’appui d’une institution internationale.

Cette migration d’une langue à une autre, avec toutes les nuances et insuffisances que pourrait porter un terme appartenant à un univers linguistique et culturel spécifique, serait source de malformations congénitales quand il s’agit de donner naissance à une politique, loi ou mesure qui se veut originale et parfaite pour pouvoir répondre à un besoin clair et bien défini.

Les fonctionnaires du quotidien parent au plus urgent

Les fonctionnaires du quotidien, il faut parfois les comprendre, et malgré leurs compétences avérées, sont tellement blasés, dégoutés, désespérés, du fait de traiter les mêmes demandes à chaque arrivée d’un nouveau haut responsable, qu’ils ont fini par ne plus donner l’importance qu’il faut à des demandes type «nouvelle stratégie», «nouveau modèle de développement» «nouvelle vision». Dans l’urgence, ils font le travail de fournier en réchauffant des vieux documents avec bien entendu les mises à jour de rigueur.

Qui dit nouvelle vision, nouvelle stratégie, nouveau modèle de développement, dit forcément un nouveau dispositif de réflexion et de conception. Les fonctionnaires du quotidien sont d’excellents chauffeurs sur des lignes droites. Alors que le changement d’approche nécessite des pilotes qui savent anticiper les virages et adopter l’attitude et la vitesse en conséquence.

Une nouvelle stratégie économique inclusive et durable ne peut plus se résumer dans un document appelé «loi sur l’investissement» ni dans un discours d’intention qui se heurte tout de suite après à l’incapacité des dispositifs en place qu’ils soient légaux ou humains. Cette même stratégie ne doit pas se contenter de remplir la moitié vide du verre mais plutôt à servir le bon jus dans le bon verre. Un jus dont la saveur croise à la fois les attentes des parties prenantes, investisseurs locaux et étrangers et surtout les attentes de la population.

Peut-on bâtir une démarche spéciale avec de la matière usée et mille fois recyclée? Peut-on libérer l’imaginaire des fonctionnaires «nez au guidon» qui traînent mille et une déception professionnelle (promotion non accordée, mission non confiée…) ? Une démarche spéciale requiert des gens spéciaux, des objectifs spéciaux, des méthodes spéciales et des solutions inclusives et durables. L’effet arc-en-ciel d’une soi-disant stratégie ou modèle de développement a démontré ses limites. Il est bien pour leurrer mais pas pour durer.

Une terrible incapacité à faire voler plus haut

Au milieu des années quatre-vingt-dix, la Tunisie fût citée par des médias internationaux de renom comme «exemple économique en Afrique», «tigre africain», «Singapour du sud de la Méditerranée», ce même pays, malgré les contre-performances, est en droit d’aspirer à une place de puissance économique africaine. En effet, fin 2010, la Tunisie a engagé un bureau d’études de renommée internationale pour préparer le saut qualitatif qui devait transformer son économie d’épicerie (huile d’olive, harissa, conserve de tomate, thon, bière, détergent, papier mouchoirs.) en une économie de solutions innovantes et de faire de la proximité avec l’Europe, un marché de 500 millions de consommateurs, un atout vraiment intelligible et actif.

Du temps perdu, certes, mais croiser les bras n’est pas pour autant une attitude. La mise en place d’une instance constitutionnelle en charge uniquement du développement économique et social qui soit mandatée par les plus hauts centres du pouvoir pour concevoir, élaborer et suivre la mise en place d’une stratégie qui conduit à un cap et qui se traduit par des objectifs opérationnels réalisables, mesurables et compréhensibles par les différentes couches de la population dont l’adhésion doit être un préalable à son implémentation.

Ce même pays a droit d’avoir : des champions mondiaux, soit des acteurs majeurs dans différents secteurs qui servent de locomotive en matière d’exportation et d’attraction des sous-traitants, une compagnie aérienne de premier ordre, un aéroport de fret, un port de transbordement, un excellent système public d’éducation et de formation, un excellent système de santé publique, un arsenal juridique simple et applicable sans passer par les labyrinthes de la fameuse formule «nonobstant». Imaginons ses différentes roues qui tournent à la même vitesse vers une destination claire, quelqu’un trouvera-t-il le temps pour parler d’«image politique», «déficit d’image» et tous ses pseudo justificatifs d’une incapacité à faire voler plus haut l’économique et le social.

* Expert en diagnostic appliqué à la stratégie.

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