Face au pourrissement de la situation générale en Tunisie, des questions doivent être sérieusement posées aujourd’hui : Kaïs Saïed est-il capable de vaincre l’hydre islamiste représenté par le parti Ennahdha? En serait-il capable et en aurait-il les moyens? Qu’on nous permette d’en douter…
Par Imed Bahri
Déjà que l’urgence économique n’est pas du tout dans les priorités du président de la république, qui parle de tout sauf du sauvetage de la Tunisie menacée par la faillite financière (on ne sait toujours pas comment les entreprises publiques vont-elles pouvoir survivre à leurs déficits astronomiques et comment le budget de l’Etat pour 2022 va-t-il être financé), mais en plus, en dépit de ses gesticulations, piteusement vaines, il n’a rien fait contre l’hydre islamiste, qui est le principal responsable de cette faillite, conséquence de dix ans de mauvaise gouvernance.
Saïed donne du grain à moudre aux islamistes
Pour l’instant, on n’a eu droit qu’à de vagues menaces et à des monologues populistes stériles censées maintenir la popularité du chef de l’Etat en le présentant comme le champion de la lutte contre les islamistes, alors que la réalité est tout autre, puisque, par ses raidissements, ses bégaiements et ses hésitations, il est en train de leur donner du grain à moudre et de leur permettre de se replacer sur l’échiquier politique national, en reprenant la posture qui leur sied le mieux, celle des victimes de la dictature, qu’il savent, par ailleurs, «vendre» aux partenaires internationaux de la Tunisie, notamment les Etats occidentaux, très sensibles à cette question.
La plus grosse gaffe du président de la république dans sa «guéguerre» avec les islamistes c’est qu’il a annoncé, le 25 juillet 2021, entre autres mesures exceptionnelles, qu’il allait présider le parquet, mais cela ne s’est pas fait. Il s’est rétracté en moins de vingt-quatre heures, face à la forte opposition exprimée par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Il a manqué d’audace et de poigne et, pour un leader politique, ce genre de marche-arrière est souvent fatal, car il laisse entrevoir ses faiblesses et revigore ses adversaires.
Si Kaïs Saïed avait joint l’acte à la parole dès le 26 juillet et ouvert les dossiers de l’envoi des combattants tunisiens en Syrie, de l’appareil militaire secret d’Ennahdha, des grandes affaires de corruption et des liens incestueux du parti islamiste avec les réseaux de contrebande demeurés intouchables durant dix dernières années et le sont encore aujourd’hui, malgré les gesticulations du chef de l’Etat, la situation aurait été aujourd’hui tout autre.
Non seulement Kaïs Saïed s’est rétracté mais en plus, ses adversaires ont continué à dire partout qu’il présidait le parquet et lui attribuait, mensongèrement, toutes les décisions fantaisistes de la justice, alors que son influence sur ce corps réfractaire et très attaché à son indépendance est quasi-nulle.
Le président parle mais n’agit pas
Par conséquent, la reculade de Kaïs Saïed a beaucoup nui à sa crédibilité et l’a montré comme il est en réalité, c’est-à-dire un homme rigide, ombrageux et tenace… mais seulement en parlote, puisque les faits contredisent souvent ses dires et ses fanfaronnades sans lendemain traduisent son impuissance, laquelle est la conséquence de son inexpérience du pouvoir, de sa méconnaissance des réalités du pays et de la faiblesse et de l’incompétence des hommes et des femmes dont il aime s’entourer : des marionnettes dans un théâtre d’ombres qui écoutent, ne disent rien et pire encore, ne font rien, laissant les choses pourrir dans le pays pour ne pas avoir à assumer des responsabilités et pour pouvoir se défausser, le jour J., lorsque la mascarade sera terminée, sur le locataire du palais de Carthage.
Ben Ali, qui s’était entouré de fantoches, avait fait la même mauvaise expérience en 2011, en voyant ceux qu’il avait propulsés sur les devants de la scène se retourner contre lui en deux temps trois mouvements.
Kaïs Saïed, qui n’a pas retenu la leçon, essaye de donner de lui-même l’image d’un intraitable et irréductible justicier au service du peuple, une sorte de Zorro populiste, qui défend les veuves et les orphelins, mais ne fait rien de concret pour eux. Il croit pouvoir continuer à gouverner longtemps par… une image, qui plus est totalement trompeuse. Car même le «coup d’éclat» du 25 juillet, pour ne pas employer le terme de «coup d’Etat» utilisé par ses adversaires, il l’a fait parce qu’il y a été acculé par les masses populaires qui étaient descendus dans la rue pour lui demander de mettre fin à une situation qui ne pouvait plus durer. La décision, qui aurait dû, normalement, avoir été prise bien avant, ne pouvait plus être davantage retardée et la situation devenait si intenable que s’il n’avait pas bougé, il aurait été balayé lui aussi. «Mokrahoun akhaka la batal», dit l’adage arabe (traduire : «Obligé et nullement héros»).
Le problème c’est que six mois après, le pays continue de s’enfoncer dans la crise socio-économique et M. Saïed parle mais n’agit pas.
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