Dans la tribune ci-dessous, l’auteur, médecin tunisien exerçant en France, tente d’expliquer pourquoi les médecins quittent en masse la Tunisie pour aller exercer leur talent à l’étranger, notamment en Europe, et propose des solutions à ce phénomène qui est en passe de devenir l’un des principaux problèmes de la santé publique en Tunisie.
Par Dr Kaissar Sassi *
Je voudrais lever l’ambiguïté sur ce que pense l’opinion publique suite aux résultats des EVC * : il faut savoir qu’une majorité de médecins tunisiens quittent le pays parce qu’ils y sont contraints. Soit parce qu’ils ont été harcelés moralement ou professionnellement, soit parce qu’ils ne peuvent pas gagner leur vie pour subvenir aux besoins essentiels de leur famille, soit parce qu’ils travaillent dans des hôpitaux où il est impossible de pratiquer la médecine correctement, soit à cause de l’insécurité dans les hôpitaux.
Les causes de départ
Pour ces causes de départ, je vous donne des exemples concrets. Des conditions nécessaires ne sont pas assurées. Comme la présence d’un ascenseur bien entretenu pour ne pas y perdre la vie. Ou la sécurité de ne pas être battu à mort aux urgences. Sachez que lors d’un audit, 200 femmes médecins ont déclaré avoir été au moins une fois victime d’une agression physique dans les hôpitaux tunisiens.
Le harcèlement professionnel, c’est quand un interne est obligé d’être de garde un jour sur deux pendant un an pour éviter les problèmes avec sa hiérarchie.
La rémunération, c’est quand un professeur agrégé, diplômé depuis 20 ans, n’a pas les moyens d’acheter une maison ou un appartement pour sa famille.
Et pourtant, malgré tous ces inconvénients, 50% de ces médecins envisagent un retour en Tunisie si les conditions nécessaires sont réunies. La condition majeure reste l’autorisation de travailler sur le territoire tunisien.
Prenons l’exemple du Dr A. B., qui est parti en Belgique pour se spécialiser dans la chirurgie robotique, inexistante en Tunisie. Pour maîtriser cette technique chirurgicale, il lui faut au moins 10 ans. Pendant cette période, la loi tunisienne lui interdit d’exercer la médecine en Tunisie en interdisant la double inscription au Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM). Le Dr A. B. veut travailler deux semaines en Belgique pour réaliser son rêve et deux semaines dans l’hôpital régional de son gouvernorat en Tunisie, mais vu la loi, il ne peut pas assurer ce travail partagé.
Un véritable problème d’Etat
Résumons donc le problème : nous sommes confrontés à un départ massif des médecins tunisiens, qui sont contraints de partir pour les raisons évoquées, exposant le pays à un véritable problème d’Etat.
Comment trouver une solution à ce problème ?
La solution est simple et nous la proposons aux décideurs :
– activer le CNOM pour établir des partenariats avec les CNOM des pays où la majorité des médecins tunisiens partent;
– établir au plus vite des règles drastiques dans les hôpitaux publics pour assurer la sécurité des soignants;
– réaliser un audit national des structures de santé qui se conclura par un rapport détaillant tous les problèmes;
– créer le cadre juridique qui permettra l’exercice de la médecine en Tunisie pour les médecins partis : cela permettra, premièrement, de garantir un bénéfice en devises pour le pays, deuxièmement, de partager l’expertise acquise à l’étranger avec les jeunes médecins tunisiens en formation, et enfin de lutter contre la pénurie de médecins et les déserts médicaux.
* Anesthésiste-réanimateur.
** Les épreuves de vérification des connaissances (EVC) constituent la première étape de la procédure d’autorisation d’exercice (PAE) des médecins à diplômes hors Union européenne. Chaque année, beaucoup de médecins tunisiens réussissent ces épreuves et postulent à des autorisations d’exercice qui leur ouvrent la voie à l’émigration. Et cela alimente le fléau de la fuite des cerveaux dont souffre aujourd’hui la Tunisie.
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