«La médecine a tellement fait de progrès que plus personne n’est en bonne santé», disait Aldous Huxley. Vision prémonitoire d’un monde moderne où apparaît un parallèle entre ce qui se passe dans le monde des finances et ce qui risque de survenir dans la sphère médicale.
Par Dr Salem Sahli *
Tout au long de la crise des subprimes en 2007, souvenez-vous-en, il ne se passait pas un jour sans que l’on entende parler de bulles. A longueur de journaux écrits et d’antennes dans les grands médias, on nous ressassait : bulle immobilière, bulle financière, bulle spéculative… que sais-je encore ? Un nouveau concept était-il en train de naître ou bien s’agissait-il d’une notion ancienne qui refaisait surface à la faveur de la crise financière que nous vivions à cette époque ?
D’autres secteurs peuvent-ils être concernés par ce phénomène de bulles ?
Fort de quelques notes de lecture sur le sujet et compte tenu de mon expérience dans le domaine de la santé, je me risque dans cet article à établir un parallèle entre ce qui se passe dans le monde des finances et ce qui risque de survenir dans la sphère médicale. Vous allez voir, il existe d’étranges similitudes.
Le concept de bulle
Le concept de bulle est un vieux concept. La crise des bulbes de tulipe en Hollande au 17e siècle en constitue un exemple classique. La bulle est synonyme d’une augmentation rapide du prix d’un objet sur le marché financier, artificielle parce que sans rapports avec la valeur réelle de l’objet, et suivie, à un moment donné, par le retour brutal «crash» vers des prix plus proches de la valeur réelle de l’objet.
Le gonflement des prix peut être dû à des comportements irrationnels des agents économiques qui surévaluent l’objet ou à des manipulations par des professionnels qui jouent sur la crédulité d’investisseurs «amateurs». Et plus l’écart entre le prix de l’objet et sa valeur réelle croît, plus le danger d’un éclatement de la bulle devient imminent.
La bulle médicale
Il est dès lors légitime de penser que la médecine remplit toutes les conditions pour la constitution d’une bulle. En effet, le progrès médical connaît depuis plus d’un siècle un développement spectaculaire et continu. Plus de 20.000 articles sont publiés chaque mois dans les revues médicales. L’arsenal diagnostique et thérapeutique à la disposition des médecins est impressionnant. Nous assistons à une spécialisation à outrance du corps médical.
Parallèlement, l’industrie pharmaceutique génère des profits colossaux et pousse à la consommation immodérée de médicaments. Les campagnes fort coûteuses que les laboratoires, au demeurant peu regardants sur l’éthique médicale, ont mené et mènent encore en faveur de la vaccination contre la Covid-19 illustrent bien notre propos. Ajouté à cela, l’augmentation fulgurante et plus ou moins justifiée de la demande de soins de la part de la population, et l’on comprendra aisément que toutes les conditions sont désormais réunies pour la constitution d’une bulle médicale. Saura-t-on prévenir sa rupture ? Rien n’est moins sûr.
L’évolution de la consommation médicale de la population nous rappelle chaque jour que les dépenses de santé ne peuvent continuer à croître indéfiniment sans mettre à mal le système de santé dans son ensemble.
Certes, la médecine moderne permet aujourd’hui à la grande majorité d’entre nous de vivre plus vieux tout en restant le plus longtemps possible en possession de ses moyens, mais l’envers du décor est là. Il s’appelle erreurs médicales, effets néfastes des médicaments, lobbying, conflits d’intérêt, corruption, mercantilisme, absence d’éthique, opacité de la recherche médicale, hospitalisme, maladies nosocomiales, réactions allergiques parfois mortelles…Il n’est vraiment pas exagéré d’avancer que la médecine technicisée, expertisée et déshumanisée, provoque chaque année des milliers de morts de par le monde. Pour Dr Peter Gotzsche, directeur du prestigieux Institut Cochrane au Danemark, «les médicaments sont la troisième cause de décès».
Renouer avec une médecine plus humble
J’invite par conséquent mes confrères médecins et tous les acteurs de santé à rendre à l’art médical ses lettres de noblesse en renouant avec une médecine, certes moderne, mais plus humble, plus humaine et à l’écoute du patient. Une médecine qui redonne toute son importance au colloque singulier qui fonde la relation médecin – malade. Une médecine servie par des médecins qui «guérissent parfois, soulagent souvent et consolent toujours». Ce faisant, nous réussirons peut-être la déflation de la bulle médicale qui menace de se rompre.
Il ne s’agit nullement de retourner au moyen âge, mais de réinventer, à la lumière des écueils connus, une médecine moderne sur de nouvelles bases où l’humain figure au cœur du système.
* Médecin pédiatre, Hammamet.
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