Le président de la république Kaïs Saïed ne cesse d’agiter la menace de poursuites judiciaires contre les grands pontes de la corruption, de la spéculation et des malversations financières, mais son tableau de chasse reste encore maigre, et pour cause, sa prétendue «guerre» contre la corruption bat de l’aile et montre ses limites.
Par Imed Bahri
Huit ans après la chute du régime corrompu de Ben Ali, on ne peut pas dire que la lutte contre la corruption en Tunisie a fait quelque avancée. Au contraire, notre pays a vu sa position se dégrader dans l’indice mondial de la perception de la corruption publié chaque année par Transparency International. Et pour cause, non seulement ce fléau n’a pas vraiment reculé dans notre pays, mais il s’est beaucoup accentué, affectant des pans entiers de l’administration publique et du monde des affaires.
L’Instance nationale de lutte contre la corruption (Inlucc), créée en grandes pompes et qui a coûté énormément aux budget de l’Etat, est à l’arrêt et ses bureaux fermés depuis plusieurs mois suite à une décision arbitraire et non encore expliquée prise par le président de la république Kaïs Saïed, qui n’a pas dit pas non plus un mot sur ce qu’il compte faire de ce «machin».
La corruption a encore de beaux jours devant elle
Selon de nombreux observateurs, l’Inlucc a servi de simple vitrine, sans réel impact sur la vie publique, puisque qu’au lieu de faire reculer le fléau de la corruption, jadis circonscrit à des membres de la famille de Ben Ali soudoyant des pans de l’administration publique et du milieu des affaires, cette instance a assisté, impuissante sinon passive et complice, à sa généralisation et à sa banalisation par les milieux politiques et les services de l’Etat, y compris la justice,
Certes, le président Saïed ne cesse de souligner la nécessité de lutter contre la corruption, condition sans laquelle aucun effort de redressement national ne saura réussir, en multipliant les discours enflammés et menaçants, mais sans réellement prendre des mesures concrètes pour sanctionner les corrompus, les contrebandiers et les tenants de l’économie parallèle, de la spéculation et du blanchiment d’argent.
Au final, et à l’exception des poursuites judiciaires engagées contre quelques seconds couteaux et petites mains de l’administration, délégués (sous-préfets) et directeurs régionaux d’administration, soupçonnés de petits larcins (qui ne tarderont pas être innocentés par la justice), aucun gros poisson de la corruption n’a été retenu par les filets présidentiels qui semblent troués.
C’est à croire que le chef de l’Etat mène tout le monde en bateau, en prenant des postures de Zorro de la lutte contre la corruption, mais sans montrer une réelle volonté de sévir contre les malfaiteurs ou peut-être ne dispose-t-il pas de dossiers solides pouvant justifier des accusations sérieuses au regard d’une justice de plus en plus réticente et elle-même gagnée par le doute, si elle n’est pas plus simplement soumise aux influences des lobbys politiques et des groupes d’intérêt.
Le président Saïed peut toujours prétendre qu’il est au service des pauvres et des démunis et qu’il œuvre à mettre hors d’état de nuire ceux qui ont mis en coupe réglée des pans entiers de l’administration publique et de l’économie nationale, le bilan dans ce domaine reste encore insignifiant, compte tenu de l’ampleur du défi que ces fléaux représentent et des freins qu’ils opposent à un possible assainissement des affaires et une relance de l’économie.
Le président Saïed au secours des pontes de la corruption
La dernière décision du président de la république d’avaliser la décision de la Banque centrale de Tunisie (BCT) de dissoudre et de liquider la Banque franco-tunisienne (BFT), en cessation de paiement, prouve s’il en est encore besoin, l’impuissance de fait dans laquelle se trouve le chef de l’Etat, qui semble démuni des moyens pouvant aider à assainir une administration déjà largement gangrenée par une corruption généralisée.
L’affaire BFT est, rappelons-le, un boulet de fer que traîne l’Etat tunisien depuis le milieu des années 1980, après la mise en coupe réglée de cet établissement bancaire par les gros pontes de la corruption infestant le milieu économique avec la complicité active et criminelle de hauts cadres de l’Etat.
Cette affaire, et n’ayons pas peur des mots, a tout d’un crime d’Etat, car ladite banque a été sciemment mal-gouvernée par des hauts responsables publics (présidents de la république, chefs de gouvernement, ministres, gouverneurs de la banque centrale, administrateurs judiciaires, etc.) qui s’étaient tous mis, sans état d’âme, au service d’une poignée de gros pontes de la scène économique. Et le résultat est là : la liquidation de la BFT va coûter au bas mot 1,5 milliard de dinars aux pauvres contribuables tunisiens, qui n’ont rien volé à personne, et qui vont pouvoir casquer pour cette poignée de malfrats dont l’impunité a, finalement, été garantie par… le président Saïed.
Lequel président, et c’est là où le bât blesse, continue de nous rebattre les oreilles avec sa prétendue «guerre» contre la corruption. Et le drame de ce pays est que certains «idiots inutiles» continuent de croire à ses balivernes, au prétexte qu’il a écarté le parti islamiste Ennahdha du pouvoir.
Si le résultat est la mise à genoux du pays, comme c’est le cas aujourd’hui, quelle belle affaire!
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