Alors que le président de la république Kaïs Saïed, adepte de la politique de l’autruche, évite de rencontrer Noureddine Taboubi, pour ne pas entendre ce qu’il ne veut pas s’entendre dire, le secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), continuera de faire monter les enchères de la revendication sociale, faisant fi des réalités économiques d’un pays en quasi-faillite. N’a-t-on pas là la preuve définitive de la médiocrité de la classe politique que la révolution de 2011 a infligé à un peuple tunisien qui, par son immaturité politique, ne mérite finalement pas mieux?
Par Ridha Kefi
Constatant sa «puissance», puisque tout le monde lui fait la cour (ministres, dirigeants de partis, ambassadeurs, et même responsables d’organisations internationales, Banque mondiale et Fonds monétaire international compris), Noureddine Taboubi ne recule devant aucune provocation et continue de bomber le torse pour montrer de quel bois il se chauffe.
Non content d’avoir piétiné sous ses pieds le règlement intérieur de son organisation pour y faire sauter le verrou de la limitation des mandats et s’éterniser ainsi à la tête de l’UGTT, alors que toute la classe politique sans exception garde un silence lâche et complice, au mépris des valeurs démocratiques dont elle ne cesse de se gargariser, «monsieur bac moins six» peut continuer à occuper les devants de la scène politique et médiatique en multipliant les revendications les plus inappropriées dans un pays qui n’a même pas de quoi payer ses importations d’énergie, de céréales, de médicaments et autres pièces détachées nécessaires à ses infrastructures et son industrie.
L’irresponsabilité du mouvement syndical
Sa dernière déclaration surréaliste en date, celle faite mercredi 16 mars 2022, au Palais des Congrès de Tunis, où il a appelé le gouvernement à accélérer l’ouverture des négociations sociales sur l’augmentation des salaires dans le secteur et la fonction publics, au titre des années 2021, 2022 et 2023.
Lors d’un rassemblement syndical dédié au secteur des transports, l’un des plus sinistrés, avec des entreprises publiques en quasi-faillite (Tunisair, SNCFT, Transtu, SNTRI…), M. Taboubi a justifié cette demande par la détérioration du pouvoir d’achat des salariés, la hausse des prix, l’augmentation du chômage, qui s’élèverait à près de 20%, selon son estimation, et la montée des taux de pauvreté, considérant que l’ouverture de nouvelles négociations sociales (entendez hausses salariales) est un droit et une urgence pour tous les ouvriers et employés.
La situation que décrit le dirigeant syndical est certes réelle, et le pays traverse en effet une grave crise dont les causes sont multiples et les plus importantes sont l’échec du modèle économique en place depuis un demi-siècle, une mauvaise gouvernance chronique et une conjoncture internationale très difficile en raison de la pandémie de Covid-19 et de la guerre en Ukraine. Mais il y a aussi une autre cause dont on parle peu : l’irresponsabilité du mouvement syndical national, qui met les hausses salariales quasi-annuelles en tête de ses préoccupations, et se refuse de faire face aux vrais causes de la quasi-faillite des entreprises publiques, dont les difficultés ont accéléré les déséquilibres financiers de l’Etat, contraint à injecter l’argent du contribuable dans leurs caisses pour les maintenir en vie artificiellement. Outre la mauvaise gouvernance, les causes des difficultés des entreprises publiques s’appellent sureffectifs, hausse constante de la masse salariale, baisse de la productivité, corruption généralisée… autant de maux auxquels les dirigeants syndicaux ne sont pas étrangers. oh que non !
Un bataillon de bras cassés et de saboteurs
Conscient de cette situation mais poursuivant sa fuite en avant dans le déni. M. Taboubi a déclaré, dans son son discours de mercredi, que l’UGTT n’est pas responsable de la détérioration de la situation sociale dans le pays, comme beaucoup tentent de le faire accréditer, et en fait assimiler l’entière responsabilité au gouvernement.
Cela constitue la moitié de la vérité. L’autre moitié que, dans sa politique de l’autruche, M. Taboubi ne veut pas regarder en face, c’est que cette responsabilité est collective et que son organisation en assume elle aussi une bonne partie, car elle est responsable de l’explosion de la masse salariale, des perturbations de la machine de production (notamment par les interminables grèves, sit-ins et actes de sabotage), de la chute de la productivité du travail et de la faillite quasi-programmée des entreprises publiques, dont il refuse la privatisation, totale et partielle, et pour cause : c’est en leur sein qu’il recrute l’essentiel de ses propres effectifs, un bataillon de bras cassés et de saboteurs.
Tant que nos dirigeants politiques, trop lisses et trop consensuels, plutôt lâches, irresponsables et opportunistes, ne sont même pas capables d’élever la voix, eux aussi, de dire à M. Taboubi et à sa camarilla toutes ces vérités et lui expliquer que le pays est aujourd’hui au bord de la banqueroute et que si toutes les parties (administration, secteur privé et travailleurs) ne partagent pas les sacrifices que nécessitent les réformes structurelles à mettre en œuvre en urgence, le bateau coulera avec tout le monde. Et bien entendu, M. Taboubi et sa camarilla couleront les premiers. Et ce sera la pire des consolations dont ses adversaires oseront rêver…
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