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Tunisie : Kaïs Saïed piégé par l’«affaire Bhiri»

L’«affaire Bhiri» pose un grave problème aussi bien juridique et politique qu’éthique et humain. Car on ne peut raisonnablement accepter que le maintien de cet homme dans un état de quasi détention, sans accusation claire ni poursuite judiciaire, se poursuive ad vitam aeternam au nom de la lutte contre l’islam politique et de ses principales figures. Le président Kaïs Saïed est donc tenu de donner un sens à cet «affaire» très mal vue par les partenaires étrangers de la Tunisie et ce en laissant à la justice le soin de décider du sort de cet homme, par-delà ce qu’on peut penser de ses abus passés et des malheurs infligés aux Tunisiens par son parti, Ennahdha en l’occurrence.

Par Ridha Kefi

Dans un communiqué publié à l’issue d’une réunion de son bureau exécutif, le mouvement Ennahdha est revenu à la charge pour demander, pour la énième fois, la libération de son dirigeant, ancien ministre de la Justice et ex-député, Noureddine Bhiri, maintenu en résidence surveillée depuis le 31 janvier 2021.

Le «cadeau» de Saïed aux islamistes

Le bureau exécutif du mouvement islamiste tunisien a certes perdu toute crédibilité, car ce dernier a conduit la Tunisie au cours des dix dernières années et l’a enfoncée dans la crise actuelle et il est en pleine crise lui-même, depuis que son inamovible président, Rached Ghannouchi, l’a transformé en un simple appareil pour défendre ses intérêts personnels et ceux de sa smala familiale. Mais le maintien de Noureddine Bhiri dans une sorte de détention qui ne dit pas son nom, sans prendre de mesures légales à son encontre, a de quoi susciter les réserves les plus légitimes, car aucun pouvoir, quelle que soit la légitimité dont il peut se prévaloir, n’a le droit de priver les citoyens de leurs droits sans raison valable fondée sur la loi.

Aussi Ennahdha est-il aujourd’hui dans son plein droit d’accuser le président de la république Kaïs Saïed et le ministre de l’Intérieur Taoufik Charfeddine, qui ont pris la décision d’arrêter Noureddine Bhiri et de la maintenir en quasi-détention, sans explication ni justification, judiciaire ou autre, «de toute répercussion grave sur la santé de Bhiri qui a atteint le 55e jour de sa grève sauvage de la faim», selon les termes du communiqué.

Le mouvement islamiste est d’autant plus à l’aise aujourd’hui pour appeler les organisations nationales et internationales de défense des droits de l’homme à «intervenir contre cet abus de pouvoir contre les opposants au coup d’État contre la constitution», selon une terminologie désormais bien affûtée, que ces organisations sont de plus en plus sensibles à une telle demande et mobilisées en faveur de l’ancien ministre de la Justice qui, par-delà les griefs qu’on puisse lui reprocher, ne mérite pas d’être maintenu dans une situation de non-droit. Et c’est bien le cas, n’en déplaise aux fans et aux groupies de M. Saïed, qui infestent les réseaux sociaux et sont prêts à fermer les yeux face à tous les abus que ce dernier est en train de commettre, tout en jurant, la main sur le cœur, qu’il n’outrepasserait jamais la loi, une loi qu’il piétine tous les jours que Dieu fait.

Gare aux brusques retournements de situations !

Ce qu’il faut se résigner à appeler l’«affaire Noureddine Bhiri» pose aujourd’hui un grave problème aussi bien juridique et politique qu’éthique et humain. Car on ne peut raisonnablement accepter que le maintien de cet homme dans un état de quasi détention, sans accusation claire ni poursuite judiciaire en bonne et due forme, se poursuive ad vitam aeternam au nom de la lutte contre l’islam politique et de ses principales figures. Même si cela semble plaire à beaucoup de Tunisiens, dont la versatilité intellectuelle et les sautes d’humeur nous ont déjà valu de nombreux drames.

La balle est donc dans le camp du président Kaïs Saïed qui ne peut continuer à snober ses opposants, à refuser toute discussion, y compris avec ses partisans, à rester sourd aux avertissements, jusque-là amicaux, des partenaires internationaux de la Tunisie, et à faire fi des lois de la république qu’il est censé défendre, au prétexte qu’il reste très populaire dans les sondages d’opinion. Car on ne peut avoir toujours raison contre tout le monde, et la popularité, en politique, est toujours momentanée et éphémère et beaucoup de dirigeants avant lui, et tout aussi populaires que lui en leur temps, ont été emportés par de brusques retournements de situations.

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