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La Tunisie rate son rendez-vous historique avec la démocratie

Kaïs Saïed, Béji Caïd Essebsi, Moncef Marzouki : trois présidents pour un rendez-vous raté avec la démocratie.

D’une déception à une autre, rendez-vous raté après rendez-vous raté et d’une purge l’autre, celui qui accède au pouvoir effaçant tout ce qu’a fait son prédécesseur : tel semble être le destin de la Tunisie d’après-2011. Et ce par la faute d’une gouvernance calamiteuse, qui a montré les limites d’une élite politique inexpérimentée, arrogante, démunie d’idées et de courage, et d’une diplomatie sans panache, presque inaudible sur la scène mondiale. Et pour ne rien arranger, Kaïs Saïed, loin de se démarquer des partitocrates qu’il fustige et avec lesquels il cherche à rompre, est en train d’accélérer, par ses dérives autoritaires et ses lubies idéologiques, cette descente en enfer d’une Tunisie douloureusement revenue de ses rêves démocratiques.

Par Elyes Kasri *

Kaïs Saïed doit impérativement se rendre à l’évidence que son pire ennemi est à l’étranger, non pas en raison d’une adversité gratuite, mais à cause d’une communication défaillante à l’international surtout depuis le 25 juillet 2021.

Le président de la république et, à travers lui, la Tunisie sont en train et n’ont pas fini de payer pour une négligence extrêmement préjudiciable d’une communication intelligente et convaincante avec les centres de pouvoir et d’influence en Europe et aux Etats Unis, loin du ton péremptoire et magistral du professeur de droit constitutionnel.

La diplomatie tunisienne aux abonnés absents

L’état de démobilisation, frisant la paralysie, de la diplomatie tunisienne pour de nombreuses raisons dont beaucoup relèvent de la responsabilité des tenants successifs de Carthage depuis 2011, notamment une purge systématique et la vacance à la tête de plusieurs ambassades, en plus de nominations peu convaincantes à la centrale et à l’étranger, ont créé un vide sur la scène internationale qui a été occupé par les sbires de la pieuvre islamo-mafieuse qui se présentent effrontément comme les défenseurs de la démocratie et des droits de l’homme en se prévalant en plus d’autres services rendus aux Etats-Unis et à Israël au Moyen Orient et ailleurs dans le monde.

Confrontée à une combinaison de crises institutionnelle, politique, sociale et économique, la Tunisie a urgemment besoin de mieux se défendre et se faire comprendre à l’étranger avec une diplomatie plus motivée et surtout mieux dirigée.

Il est temps de fermer la parenthèse malheureuse de la diplomatie tunisienne et de ceux qui ont contribué à sa décadence depuis 2011. Le salut de la Tunisie en dépend.

Il est communément admis aux Etats-Unis et en Europe qu’en politique, la perception est plus forte que la réalité. La perception dominante aux Etats-Unis et en Europe est que la Tunisie est entrée dans une phase de blocage du processus démocratique et que sa crise économique et sociale est exacerbée par une dérive populiste et autoritaire menaçant tous les acquis démocratiques réalisés depuis 2011.

Cette perception est alimentée par des gestes et des déclarations considérées parfois comme déplacées et même contre-productives, qui sont mal expliquées par une diplomatie tunisienne sans vision et inaudible, en plus d’un réseau mondial hyperactif de la pieuvre islamiste.

Kaïs Saïed rate le moment historique du 25-Juillet

Dans cette phase critique de tension sociale et de crise économique, la Tunisie a tout intérêt à tenir compte de l’appréciation de ses partenaires étrangers et principalement occidentaux et leur disposition à se tenir à ses côtés.

Quoi qu’en disent les responsables gouvernementaux, la réédition du scénario libanais en Tunisie n’est pas à exclure si nous nous obstinons à reporter aux calendes grecques les réformes économiques avec leur lot de sacrifices et persistons à perdre un temps précieux dans nos querelles politiques qui sont considérées à l’etranger comme infantiles et stériles.

Aussi bien intentionné et intègre que puisse être Kaïs Saïed, on ne peut s’empêcher de penser qu’il a raté le moment historique du 25-Juillet et s’est avéré un piètre stratège dépourvu du sens de la décision et de l’opportunisme historique dont doit se prévaloir un vrai homme d’Etat.

Au lieu de frapper fort immédiatement après le 25 juillet 2021 pour débarrasser le pays de la pieuvre islamo-mafieuse, il s’est mis à poursuivre tel Don Quichotte des moulins à vent et essayer de nous fourguer subrepticement son rêve de système politique de base partagé par une clique peu convaincante animée plus par une ferveur idéologique que par la raison. Il a ainsi laissé à Ennahdha et ses complices politiques le temps de se repositionner en Tunisie et à l’étranger en jouant aux martyrs à l’instar de Noureddine Bhiri qui de la réputation sulfureuse de manipulateur de la justice tunisienne est devenu hypocritement et effrontément une icône du combat pour les droits de l’homme.

La menace d’un retour d’Ennahdha n’est pas écarté

Sauf un miracle ou des décisions audacieuses de la part de la plus haute autorité du pays, il est à craindre qu’Ennahdha et ses satellites ne puissent remporter, grâce à leurs pratiques et soutiens classiques, les prochaines élections législatives en s’attribuant fallacieusement le rôle de défenseurs des droits de l’homme.

Kaïs Saïed aurait ainsi donné à la pieuvre islamo-mafieuse l’opportunité de se refaire une virginité politique et morale pour se réinstaller au pouvoir, pour longtemps cette fois, après avoir procédé à une purge phénoménale comme l’a fait en Turquie leur maître Recep Tayyip Erdogan à la suite du prétendu coup d’Etat de juillet 2016.

D’une déception à une autre et purge après purge, tel semble être le destin de la Tunisie démocratique.

* Ancien ambassadeur de la Tunisie au Japon et en Allemagne.

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