Lors d’un entretien télévisé, le vice-premier ministre libanais a laissé entendre que le Liban et sa banque centrale sont en faillite et que cette situation était le résultat de plusieurs décennies de corruption et de mauvaise gestion publique. Le Liban fonde aujourd’hui ses espoirs sur le Fonds monétaire international (FMI) avec qui l’Etat négocie depuis quelques mois un fonds de sauvetage. La Tunisie a commis les mêmes erreurs et risque de connaître le même sort, y compris la faillite, malgré les assurances des hauts responsables de l’Etat.
Par Amine Ben Gamra *
Déjà endetté à hauteur de 100 % de son PIB, la Tunisie doit en effet trouver plus de 6 milliards d’euros pour couvrir ses dépenses en 2022. Des discussions avec le FMI sont en cours pour obtenir un nouveau prêt – le 4e depuis la révolution de 2011 – de 3,5 milliards d’euros.
Le gouvernement tunisien espérait conclure avec l’argentier international à la fin du premier trimestre de cette année. Mais les discussions n’en sont qu’au stade préliminaire. Dans la meilleure des hypothèses, il n’y aura pas d’accord avant mai-juin. L’ensemble des bailleurs internationaux subordonnent la mise à disposition de fonds supplémentaires à l’accord avec le FMI.
Des réformes douloureuses difficiles à mettre en œuvre
La facilitation des départs en retraite des fonctionnaires pour maîtriser la masse salariale, la restructuration des entreprises publiques, dont la majorité sont en quasi-faillite en raison de leur mauvaise gouvernance, et la fin des subventions des certains produits de première nécessité sont donc envisagés par le gouvernement dans le cadre de ses engagements envers ses bailleurs de fonds. Mais pour garantir la mise en oeuvre de ces mesures douloureuses pour des pans entiers de la société, notamment les salariés, le FMI, lassé des promesses non tenues du pays en transition, exige désormais l’accord préalable de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), la puissante centrale syndicale, qui ne fait pas mystère de son opposition catégorique à ces réformes.
En cas d’échec des négociations avec le FMI, que le gouvernement n’ose même pas envisager, le recours au Club de Paris pour négocier une restructuration des dettes de la Tunisie semble inévitable.
Or, le taux de chômage atteint désormais 18,4% et risque d’être aggravé par les retombées de la crise provoquée par la guerre russo-ukrainienne, alors que le taux de croissance prévu pour cette année 2022 reste faible (3 à 4%).
Pour ne rien arranger, l’agence de notation Moody’s a dégradé d’un cran la note souveraine du pays, passée de B3 à Caa1, signifiant que la confiance accordée aux finances tunisiennes est à son plus bas niveau depuis la fin des années 1980.
À ces chocs se sont ajoutés ceux de la création, au cours de la dernière décennie, d’un nombre massif d’emplois publics, dont beaucoup n’existent que sur le papier. La masse salariale gonflée du secteur public, conjuguée à un bas niveau de productivité, a détruit la capacité de l’État à investir dans les infrastructures et les services publics (éducation, santé, transport, etc.) qui souffrent d’obsolescence.
Palabres, malentendus et confrontations politiques
Dans ce contexte de crise socio-économique, les Tunisiens se sont désintéressés de ce qu’ils considèrent comme une démocratie institutionnelle formelle au regard des difficultés de leur vie quotidienne, de l’affaiblissement de l’État, de la corruption endémique, d’un système judiciaire qui tarde à se réformer et de lois répressives dont certaines remontent à l’époque coloniale.
Pire encore, Kaïs Saïed, qui a été élu président de la république en 2019, n’avait aucune expérience politique et économique avant d’accéder aux plus hautes charges de l’Etat, mais il s’est approprié les slogans des mouvements sociaux et leurs revendications de justice. Il a affronté un parlement fragmenté dont le président, Rached Ghannouchi, le leader du parti islamiste Ennahdha, se plaisait à tirer les ficelles en coulisses.
Le décor était donc planté pour une confrontation car la constitution adoptée en 2014 par une assemblée constituante ne définit pas clairement les pouvoirs respectifs du chef de l’État et du parlement. Il en est résulté un blocage qui a aggravé l’immobilisme sur le front économique.
Les réformes économiques, dont la nécessité et l’urgence sont évidentes et que les gouvernements et présidents successifs avaient promis aux bailleurs de fonds (FMI, Union européenne, Etats-Unis)…, n’ont pu être mises en œuvre en raison des résistances de toutes sortes (syndicales, populaires, corporatistes…). Or, face aux urgences du quotidien, les défis de réformer les politiques industrielles et économiques et de faire face à une fracture régionale croissante n’ont jamais été relevés. Et là où de nombreux observateurs occidentaux voyaient une démocratie en gestation, une majorité de Tunisiens voyaient surtout la corruption et la kleptocratie. D’où le malentendu qui empoisonne les relations de la Tunisie avec ses principaux partenaires occidentaux.
* Expert comptable, commissaire aux comptes, membre de l’Ordre des experts comptables de Tunisie.
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