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Tunisie : Bourguiba et les leçons de l’histoire

La fin de Bourguiba a été semblable à celle qu’il avait lui-même réservée à Lamine Bey qu’il avait destitué.

Parmi les leçons à tirer de la fin de Habib Bourguiba, le premier président de la République Tunisienne, il y en a une que l’auteure de cette tribune retient particulièrement, c’est que l’histoire ne pardonne pas ceux qui abusent de leur pouvoir. Et cela, bien sûr, est valable pour Bourguiba, ses prédécesseurs et ses successeurs, à court d’idées et de légitimité, qui se disputent aujourd’hui son legs.

Par Semia Zouari *

Le 6 avril est commémorée la mort de Bourguiba avec toutes les récupérations de la classe politique tunisienne en mal d’inspiration et de repères et l’idéalisation de notre «Zaim», qui est, à l’occasion, paré de toutes les vertus.

Ramener le «Zaïm» à sa juste dimension

Notre premier président de la République, Habib Bourguiba, qu’il repose en paix, était avant tout un être humain avec ses qualités et ses failles. A l’instar de De Gaulle en France, trop d’hommes politiques en ont revendiqué la filiation sans respecter les fondements de son oeuvre politique. Et nous voyons aujourd’hui comment les acquis pour lesquels il s’est battu (l’éducation et la santé pour tous, l’émancipation de la femme et la consolidation de ses droits, la modernisation de la société et la laïcité, la francophonie…) sont menacés et insidieusement minés par les idéologies rétrogrades de l’extrémisme islamiste et de ses multiples succursales non avouées, derrière le masque avenant et trompeur de l’islam modéré.

Bien sûr, Bourguiba a façonné l’histoire de la Tunisie contemporaine, mais cela n’en pas fait un modèle parfait, idéalisé à l’extrême jusqu’à l’absoudre de ses fautes et des injustices commises. Encore une fois, ce serait lui rendre justice que de le ramener à sa juste dimension et d’évaluer sa carrière politique en faisant l’équilibre entre les acquis et les manquements.

L’offense faite à la mémoire du «Zaim»

Les souvenirs que je garde du jour de sa mort restent marqués par la gestion calamiteuse de l’appareil de communication benaliste avec la diffusion de documentaires animaliers débilisants à la TV nationale, les communiqués réducteurs en rapport avec «sa naissance dans une famille modeste», les caméras qui filmaient le défilé de personnes (des femmes majoritairement) venues se recueillir devant sa dépouille à la maison du Parti au boulevard du 9-Avril, la mesquinerie du choix d’une photo du «Zaim» vieilli et diminué accroché au mur, l’infamie de l’avion marqué de l’emblème du 7-Novembre (date de sa destitution par Zine El Abidine Ben Ali, en 1987, Ndlr) qui a transporté sa dépouille à Monastir, dans la soute! Les tracasseries imposées à Bourguiba Junior qui a dû produire le titre de propriété de la maison familiale du quartier des Trabelsia à Monastir d’où devait partir le cortège funèbre. La famille Bourguiba sommée de se présenter devant Ben Ali pour recevoir ses condoléances et le «remercier». Tant de révélations fuitées dans notre société encore terrorisée par la dictature benaliste et chuchotées entre nous, dans le désarroi de la faillite morale d’un régime méprisable mais toujours craint.

Triste fin et funeste retour de l’histoire

Comment imaginer tant de bassesse lors de la mort d’un ancien dirigeant ? C’est bien le propre d’une dictature d’exiger de la famille d’un dirigeant décédé de venir remercier celui qui a fait séquestrer pendant des années un vieillard diminué et malade. Bourguiba ne pouvait aller se recueillir sur la tombe de ses parents qu’aux premières lueurs de l’aube pour que personne ne puisse le voir; il ne pouvait recevoir sa famille et ses proches sans l’accord du gouverneur de Monastir; il n’a pas vu la mer qu’il adorait pendant des années; il a été spolié du modeste palais de Skanes dont le terrain lui avait été donné gratuitement par les habitants de Monastir.

Triste fin et funeste retour de l’histoire pour celui qui avait, lui aussi, maltraité et humilié ses prédécesseurs beylicaux. Mais aussi ce fut le début de la fin pour Ben Ali et ses «conseillers», terrorisés par la mort d’un vieillard et méprisés par tous les Tunisiens pour toutes leurs bassesses, car l’histoire ne pardonne pas ceux qui abusent de leur pouvoir pour persécuter les déchus.

Historiquement, l’islam s’est grandi en prohibant les comportements revanchards à l’égard des vaincus qu’il faut avoir la noblesse d’épargner et de protéger. «Akrimou aziza qaoumin dhall» disait notre prophète.

* Diplomate.

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