Le match des quarts de finale de la Champions League, hier soir, mercredi 13 avril 2022, à Madrid, opposant l’Atletico Madrid à Manchester City, gagnant du match aller par le plus court des score (0-1), laissera des traces dans les pieds et la tête de beaucoup de joueurs. Et pour cause: l’équipe anglaise était venue jouer au football, celle de Diego Simeoni l’a soumise à une véritable guerre des tranchées. A défaut de buts, les amateurs du football ont assisté à une véritable corrida, avec coups et blessures. Il ne manquait que le sang…
Par Dr Mounir Hanablia *
Diego Simeoni, l’entraîneur argentin de l’Atletico Madrid, est un cas. Il a sa manie de solliciter, par force gesticulations, le soutien du public du stade de Manzanares, et susciter la ferveur populaire. Cela fait plusieurs années déjà qu’il dirige le banc madrilène, et il ne semble pas près de partir de sitôt.
Il y a deux ans, en jouant à 10 et dans les prolongations, les colchoneros avaient éliminé Liverpool, le tenant du titre, 3-2 à Anfield, ce qui n’est pas rien. Face à Manchester City, hier soir, en match retour à Madrid, l’ équipe a été éliminée, mais a failli renverser le cours des événements, en se créant de nombreuses occasions de buts et surtout, en réussissant à priver son adversaire du ballon et à l’acculer dans ses derniers retranchements, ce que peu d’équipes au monde peuvent se targuer de réaliser.
Une véritable guerre des tranchées
On aura beau dire, l’entraîneur argentin a une nouvelle fois prouvé qu’à travers le comportement de son équipe, il avait une conception très particulière du football qu’on pourrait appeler celle du porc-épic. Et épique, le match le fut, mais pour d’autres raisons, même s’il se termina par un nul blanc.
L’équipe anglaise était venue jouer au football. Celle de Simeoni l’a soumise à une véritable guerre des tranchées, et il est compréhensible qu’avec l’agression de Chris Foden par Felipe, après laquelle le joueur anglais a continué la partie la tête enveloppée d’un bandage, aucun de ses partenaires ne désirait conserver le ballon dans les pieds plus que nécessaire. Felipe n’a pas été exclu mais simplement averti, en bénéficiant de l’habituelle mansuétude arbitrale à l’égard des assassins des terrains. Mais Chris Foden, en fin de partie, avait failli devenir un martyr, en essuyant une nouvelle fois un tacle assassin du même Felipe arborant son chignon bouddhiste sans être pacifique, et à terre se tordant de douleur, il s’était vu traîner par le pied en dehors du terrain par un coéquipier de Felipe, Stefan Savić (ou Sauvagic), soucieux plus qu’il n’en faut de gagner de précieuses minutes nécessaires à son équipe pour renverser une situation compromise.
Simeoni a de qui tenir. Dans les années 60, la Coupe Intercontinentale opposait chaque année sur deux rencontres, aller et retour, le club vainqueur de la Coupe d’Europe des Clubs Champions, le précurseur de la Champion’s League, à son homologue détenteur de la Coupe d’Amérique du Sud, dite des Libertadores en honneur de tous ceux qui à l’instar de Simon Bolivar avaient lutté victorieusement contre le joug espagnol et fondé les actuels Etats d’Amérique Latine (à la notable exception du Brésil, portugais).
En 1967, le Celtic Glasgow avait ainsi rencontré le Racing de Buenos Aires et, contre toute attente, avait perdu, après un match retour disputé en Argentine. La télévision n’étant pas à l’époque aussi développée, peu de pays avaient bénéficié de la retransmission de l’évènement. Et la Presse s’était faite l’écho des conditions très particulières dans lesquelles le match retour s’était déroulé en Argentine, les joueurs écossais ayant fait face à une agressivité inhabituelle du public et des joueurs argentins. On avait expliqué cela par l’esprit revanchard des argentins blessés dans leur fierté par l’élimination injuste de leur équipe nationale en Coupe du Monde 1966, contre l’Angleterre, avec le concours de l’arbitre, et par la réflexion injurieuse de Sir Alf Ramsay, le manager de l’équipe d’Angleterre, qualifiant les argentins de «animals».
Mais en 1969, c’est Manchester United qui s’était frotté aux Estudiantes de la Plata, une autre équipe argentine, pour perdre, et dans les mêmes conditions, très particulières.
Une année après, c’est cette fois une équipe italienne, le Milan AC, de Rivera et Prati, qui avait essuyé les crampons de cette même équipe argentine, mais en remportant l’épreuve. A son retour de Buenos Aires, Nestor Combin, l’avant-centre français du Milan AC, est passé à la postérité dans la presse mondiale, arborant fièrement le trophée, avec un volumineux hématome de l’œil droit presque complètement fermé. On avait glosé en long et en large sur «le système» de l’entraîneur des Estudiantes de la Plata, un certain Docteur Carlos Bilardi, qui allait en 1986, en tant que sélectionneur de l’équipe nationale d’Argentine , remporter la Coupe du Monde, et échouer en finale en 1990, face à la même équipe d’Allemagne, entraînée par Franz Beckenbauer. Personne n’avait apprécié le jeu argentin malgré la présence de Diego Maradona. En 1994 celui-ci allait être testé positif à la cocaïne.
Quelque chose de pourri au royaume du football
Justement, le comportement anormal des deux joueurs de l’Atletico, hier soir, contre l’attaquant anglais semble plus relever des effets de substances illicites que de l’enthousiasme sportif. Et si les joueurs à la sortie ne se sont pas vu réclamer des échantillons d’urine, c’est qu’il y a décidément toujours quelque chose de pourri au royaume du football.
Quant au public de l’Atletico Madrid, célébrant en fin de match son club, malgré l’élimination et les agressions dont ses favoris se sont rendus coupables, il confond certainement football et corrida, et en l’occurrence, le matador a failli être tué par le taureau.
Le football est certes un sport collectif où la conquête du ballon impose des risques et des chocs. Beaucoup de footballeurs après la fin de leurs carrières deviennent comme les boxeurs, parkinsoniens, paralytiques, ou souffrent de douleurs chroniques. Les autres sombrent dans l’alcool, la drogue, ou sont ruinés par des partenaires peu scrupuleux et finissent dans la misère. Cela, le public l’ignore, ou tout comme dans le football américain, ne veut pas le savoir. A côté de cette réalité dramatique c’est aussi le seul sport collectif où une rencontre se termine sans buts marqués.
L’éternel problème reste cependant l’indulgence des arbitres et des règlements vis-à-vis des casseurs. Il y a des fautes qui mettent en danger l’intégrité physique de l’adversaire, comme marcher sur la cheville, et qui, involontaires, devraient entraîner automatiquement l’exclusion au moins temporaire du fautif, tout comme les crocs en jambe. Or l’exclusion temporaire, contrairement au handball, n’existe pas et le carton jaune ne survient que quand l’adversaire est déjà diminué après avoir subi la faute. Les coups de coude devraient valoir l’exclusion définitive, mais dans les faits, ils ne sont que rarement sanctionnés.
Le règlement actuel ne protège pas suffisamment les joueurs talentueux du ballon et il y en a de moins en moins. Le style du jeu s’en ressent et devient uniforme. Toutes les équipes ont adopté une philosophie similaire du jeu, celle de conserver avant tout le ballon afin d’en priver l’adversaire en essayant de le faire circuler le plus rapidement pour éviter les blessures et les coups et, si possible, marquer. Et des équipes comme l’Atletico Madrid poussent cette logique jusqu’à son summum, et acquièrent un label antisportif inhérent à leur image de marque et celle de leur entraîneur.
Il est probable que la télévision ait établi des records d’audience dans cette rencontre dont l’intérêt était justement la confrontation entre le «bon» football, et le «mauvais». Il est regrettable que les intérêts financiers empêchent toute évolution des règlements dans un sens bénéfique aux joueurs et à la qualité du jeu.
* Médecin de pratique libre.
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