Y a-t-il aujourd’hui un homme politique en Tunisie capable de dire clairement aux Tunisiens, les yeux dans les yeux, et sans fioriture, que la situation dans leur pays est très grave et qu’au-delà de l’obtention d’un hypothétique prêt du FMI, leur salut dépendra de leur capacité à maîtriser leurs dépenses, à mieux répartir leurs ressources et à se retrousser les manches pour relancer la production, la création de richesse, l’exportation de biens et de services, car sans une réelle relance économique, avec des taux approchant les 6 ou 7%, comme dans les années 1990, il n’y aura pas de salut ?
Par Imed Bahri
Le besoin supplémentaire induit par la crise russo-ukrainienne sur le budget de l’Etat est estimé à 5 milliards de dinars. C’est ce qu’a indiqué, vendredi 21 mai 2022, le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT) Marouane Abassi.
S’exprimant lors de la 7e édition du Forum sur la fiscalité, organisé à Sfax par l’Institut arabe des chefs d’entreprise (IACE), M. Abassi a souligné que «le recours aux ressources du Fonds monétaire international est essentiel», car le FMI autorise le financement à des coûts raisonnables et fournit un effet de levier pour le financement d’autres donateurs et du marché financier international, a-t-il ajouté, laissant entendre que la Tunisie va continuer indéfiniment à tendre la main à la charité internationale… pour survivre. La belle affaire !
Le nez dans le guidon
«Depuis la transmission d’une demande formelle au FMI pour l’accès à ses ressources sous la forme d’une facilité élargie de crédit, les autorités tunisiennes ont fait de grands efforts pour mettre en place un programme de réforme approprié avec cette institution internationale», a indiqué M. Abassi, en rappelant que «les autorités ont réussi à mobiliser 700 millions de dollars auprès de la Banque africaine d’import-export (Afreximbank), ce qui a partiellement desserré la pression sur le budget de l’État et a assuré un pont de financement jusqu’à la conclusion de l’accord avec le FMI.»
On pourrait certes s’en féliciter, mais jusqu’à quand allons-nous continuer ainsi à prendre des calmants et à nous bercer de douces illusions ? Car les pressions budgétaires se poursuivent et le gouvernement continue de parer au plus urgent, le nez dans le guidon, sans véritable plan ni assurance que la situation pourrait se débloquer bientôt. Et comme l’avenir immédiat du pays dépend de prêt du FMI, qui de toutes les façons n’atteindra pas le montant espéré de 4 milliards de dollars, que ferions-nous si ce prêt ne serait pas accordé ou serait très insuffisant, ce qui nous semble le plus probable ? Mystère et boule de gomme ! La ministre des Finances, Sihem Nemsia Boughdiri, avait déclaré, il y a quelques semaines, que la Tunisie n’a pas de plan B. Une manière de dire que nous avons le couteau sous la gorge, ou ça passe et ça casse !
Une situation quasi-ingérable
Au-delà des raisons qui nous ont fait glisser sur cette pente douce et amenés vers cette situation quasi-ingérable, et qui sont connues de tous (mal gouvernance, gabegie politique, mauvaise gestion des deniers publics…), ce qui inquiète par-dessus tout c’est cette propension des responsables gouvernementaux à ne rapporter que des «good news», comme pour endormir momentanément nos inquiétudes et nous bercer de l’illusion d’une imminente sortie de la crise, au lieu de tenir un langage de vérité aux citoyens, de leur dire que la marge de manœuvre est étriquée et que le salut dépendra de notre capacité à tous à réduire momentanément nos dépenses et nos ambitions, à mieux répartir nos ressources et à nous retrousser les manches pour relancer la productivité, la production, la création de richesse, l’exportation de biens et de services, car sans une réelle relance économique, avec des taux approchant les 6 ou 7%, comme dans les années 1990, il n’y aura pas de salut.
En fait, si, momentanément, l’hypothétique prêt du FMI pourrait donner un peu d’air frais aux finances publiques, il ne devrait pas nous servir de prétexte pour nous rendormir à nouveau, d’autant que les réformes sur lesquelles le gouvernement s’est engagé vont être douloureuses pour tout le monde, que les sacrifices devront être équitablement partagées et que la machine ne redémarrera que grâce à nos efforts collectifs.
Y a-t-il un pilote dans l’avion ?
Y a-t-il aujourd’hui un homme politique dans le pays capable de dire cela clairement aux Tunisiens, les yeux dans les yeux, et sans fioriture, de les mobiliser autour d’un vrai projet de redressement national que nous porterons tous à bout de bras et qui nous coûtera du sang et des larmes, pour paraphraser Winston Churchill parlant aux Britanniques pendant la seconde guerre mondiale, mais dont profiteront, au final, nos enfants et nos petits-enfants ?
Force est de constater que cet homme-là, hélas, n’existe pas aujourd’hui en Tunisie…
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