Pour être un bon chef d’Etat, il ne suffit pas d’être honnête, franc et courageux; il faut aussi avoir une vision et de l’imagination. A l’indépendance de la Tunisie, Habib Bourguiba n’était pas un spécialiste en économie ou en finance, mais il vit comment Franklin Roosevelt essaya de relancer son pays. Il acquit une conviction de ce que son propre pays devait être (voir la lettre de Bourguiba à Roosevelt datant de 1943). Il comprit aussi qu’un pays viable devait avoir des réserves d’or et peu de dette. L’actuel président tunisien, Kaïs Saïed, n’est malheureusement pas dans ce même état d’esprit…
Par Oilid Ben Yezza *
Mais d’abord qu’avait fait Roosevelt pour son pays ?
La comparaison entre les Etats-Unis sous Roosevelt et la Tunisie actuelle montre que leurs situations sont plus proches qu’on le pense.
Après la crise de 1929, Roosevelt devait redresser un pays détruit économiquement mais aussi climatiquement. Des régions de l’Etat de l’Oklahoma à l’est du pays étaient devenues des déserts aussi arides que les régions du sud tunisien. Des familles sans aucune récolte et sans argent allaient connaître la famine.
Roosevelt ne resta pas sourd à ces tragédies qui frappaient son pays. Dans un pays soumis à l’ordre libéral, il comprit très vite que l’Etat devait intervenir, être à la manœuvre, recréer les bases d’une économie solide, investir dans les routes, les chemins fer, les infrastructures, une énergie peu cher pour aider les entreprises à être plus compétitives.
Sept Etats, chacun plus grand que la Tunisie, n’avaient même pas d’électricité et peu d’infrastructures, des situations pires que nos régions intérieures.
15 mesures en 15 jours
Pour mener à bien les réformes économiques envisagées, il s’entoura d’un groupe d’économistes, jeunes et imaginatifs, tels que Moley ou Tugwell, Hopkins… (le Brain Trust cabinet).
Malgré qu’il fut traité de communiste par de puissant opposant, Roosevelt mit au pas des ennemies plus puissants qu’Ennahdha actuellement en Tunisie, tel que la Ligue de la liberté (les plus puissants oligarques et hommes d’affaires du pays), la NRA (National recovery administration), la Cour Suprême, et développa même le syndicalisme américain en échange de la création d’emplois et d’un soutien patriotique pour son programme. L’Union générale tunisienne du travail (UGTT) devrait y méditer au lieu de se contenter de s’opposer à toute initiative venant des autorités.
Roosevelt est resté attaché à l’orthodoxie budgétaire mais il fût incroyablement ouvert à une politique et des idées nouvelles et expérimentales. Sa communication était au point: 15 mesures en 15 jours; il a donné plus de pouvoir aux salariés, soutenu les artistes (théâtre, cinéma…), pris des mesures sociales qui ont fait son prestige (assurance chômage, vieillesse)… Même restrictives, ses mesures avaient le mérite de poser des jalons là où il n’y avait rien.
Il prouva, ce faisant, qu’il était le président des plus pauvres face aux plus riches et il ne s’est pas aliénés ces derniers pour autant.
Le New Deal n’était pas de simples lois
A cause de son handicap, sa femme Eleanor était «TOUT» et plus encore; elle était tout sauf décorative. Infatigable, elle parcourait TOUT le pays pour porter la bonne parole de son président de mari. Elle mit le casque et alla s’enfoncer dans les mines de l’Ohio afin de dialoguer avec les mineurs au fonds de leurs tunnels, rencontrer dans chaque Etat aussi bien les paysans que des noirs discriminés.
Pour elle, contrairement à la très effacée Najla Bouden, ce n’était pas un job de Premier ministre ou de Première dame, le New Deal n’était pas une simple mode ou de simples lois; ce fut son combat, sa croyance, une révolution décisive pour éradiquer la pauvreté et poser les bases d’une politique sociale pour les 100 prochaines années.
Ce qui fait le New Deal, ce ne sont pas seulement les mesures mais avant tout la confiance et l’espoir, cette confiance que Roosevelt et sa femme ont donné au peuple américain. L’espoir que les prochains jours seront meilleurs que ceux passés et présents.
Ces deux personnes croyaient en leur projet et ont donné envie qu’on croit en eux. Les voyant se retrousser les manches, les Américains reprirent confiance dans leur classe dirigeante.
Kaïs Saïed peut encore se rattraper
Il n’est pas trop tard pour la Tunisie, pour que le référendum du 25 juillet ne se transforme pas en un plébiscite de Kaïs Saïed ou un vote contre lui.
Le président tunisien a raté les deux premières années de son mandat mais il peut se rattraper, en lançant son New Deal. Et il n’est pas trop tard pour lui de trouver son Eleonor. Il peut rattraper le temps perdu à conditions de s’entourer de jeunes audacieux, revanchards et surtout rêveurs, ambitieux et créatifs.
* Financier diplômé de New York University travaillant depuis 20 ans au Luxembourg.
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