«Assault on the Liberty», de James M. Ennes Jr, paru en 2002 à New York, est le récit écrit par un survivant de l’attaque perpétrée par Israël contre le navire espion américain Liberty en Méditerranée orientale durant la guerre dite des six jours, en juin 1967, et de ses conséquences.
Par Dr Mounir Hanablia *
Il est inutile de s’attarder sur les péripéties de cette guerre, dont les actuels événements dans les territoires palestiniens occupés et Jérusalem ne sont que la conséquence directe.
Par contre, qu’une armée victorieuse s’attaque délibérément à des soldats alliés intrigue, particulièrement quand les pays entretiennent des relations cordiales, qui tournent même à la complicité nucléaire.
Il est désormais de notoriété publique que l’armée américaine avait envoyé quelques-uns de ses avions espions dans un aérodrome israélien du désert du Néguev, pour effectuer des vols de reconnaissance à très haute altitude sur tout le désert du Sinaï le long de la ligne de front israélo égyptienne, pendant les opérations militaires.
Israël parle d’«erreur»
Pourtant, cela n’a pas empêché l’aviation et la marine israélienne d’attaquer, le 8 juin 1967, en pleine journée, et par beau temps, ce bateau américain bourré de matériel électronique d’interception des communications, portant des marques de reconnaissance aisément identifiables et croisant à quelques miles nautiques de Gaza et du Sinaï.
Le bilan est lourd : 34 marines ont péri et 75 autres ont été blessés, soit les deux tiers de l’équipage, bien que le commandement militaire américain ait été informé de l’attaque dix minutes après son début par le capitaine du navire. C’est deux heures et quart après le début de l’attaque qu’un communiqué publié par le ministère israélien de la Défense a reconnu «l’erreur» et offert son assistance au bateau en détresse.
Une erreur? Vingt-quatre heures auparavant, un message avait été adressé au bateau par le commandement de la flotte américaine l’informant de risques d’attaque et lui demandant de se tenir à plus de 100 miles des côtes, mais s’étant «perdu» dans les méandres des communications de la marine américaine qui transitaient entre autre par Asmara, alors en Ethiopie, il n’est jamais arrivé à destination, et nul n’avait estimé nécessaire de contacter directement le Liberty. Mais là n’est pas le plus étonnant.
En effet, le bateau était situé à 400 miles de la VIe flotte américaine, et normalement, il aurait fallu moins d’une demi heure aux chasseurs bombardiers Phantoms, décollant du porte-avion américain le plus proche, pour lui porter assistance. Cependant, 50 minutes après le premier appel de détresse, les avions qui avaient décollé pour porter secours ont été rappelés par le secrétaire d’État Mc Namara : ils auraient été porteurs de bombes nucléaires incompatibles avec la nature de la mission. Et ceux qui, au moment du communiqué israélien, deux heures et quart plus tard, s’apprêtaient à décoller, ont vu leur mission annulée par le président Lyndon Johnson lui-même.
La réalité est donc là: le 8 juin 1967, un navire américain a été bombardé au napalm, mitraillé, puis torpillé, des marins sont morts, et les survivants à bord de canaux pneumatiques ont été criblés de balles, sans que l’armée américaine, présente en force à une demi heure d’avion de là, ne lève le petit doigt pour les soutenir.
L’armée américaine étouffe l’affaire
Les enregistrements des échanges radio recueillis au cours de l’attaque dans une station militaire américaine de télécommunications située au Maroc ont été peu après confisqués par les services secrets militaires, probablement pour empêcher toute indiscrétion éventuelle de filtrer.
Finalement, à leur retour au pays, les soldats ont été décorés pour héroïsme, même à titre posthume, au cours de cérémonies tenues dans la discrétion, sans en mentionner les circonstances très particulières, en passant sous silence la partie hostile responsable des pertes essuyées, Israël. Naturellement ce dernier a nié contre toute évidence avoir eu connaissance de la nationalité du bateau, pourtant facilement identifiable, alors que ses avions l’avaient survolé pendant plusieurs heures avant le début de l’attaque.
En fin de compte, le gouvernement américain a accepté les excuses israéliennes et la thèse de l’erreur involontaire a été retenue, et rendue publique face à la presse et aux commissions d’enquête. Et les questions des vétérans et des légionnaires relativement à l’inaction du gouvernement américain, et selon eux au manque de considération durant les cérémonies de commémoration, à l’omission de la partie inamicale, n’ont pas trouvé d’écho auprès de l’administration, désireuse d’enterrer cette affaire le plus rapidement possible. Les commémorations ont continué dans des cercles de plus en plus restreints alors que le nombre des survivants s’amenuisait.
Un témoin indésirable
En fait, la présence du Liberty près des côtes palestiniennes gênait le gouvernement israélien obligé de différer de 24 heures ses projets contre la Syrie et qui ne voulait pas en être tenu pour responsable, après que le président Johnson eut affirmé qu’il n’apporterait d’aide à l’Etat hébreux que si celui-ci était attaqué. Et la dernière chose dont le gouvernement israélien voulait, c’était de se voir obligé de restituer les territoires conquis, ainsi que, cédant à des pressions américaines, il avait dû le faire en 1956, lors de l’agression tripartite contre l’Egypte. C’est cela qui a précipité la décision de se débarrasser du Liberty considéré comme un intrus qui avec ses capacités d’interception des communications représentait le témoin indésirable, et c’est le ministre de la Défense Moshé Dayan qui l’a prise.
Cependant, cette affaire, aujourd’hui enterrée et oubliée, avait en son temps convaincu beaucoup d’Américains que le gouvernement de leur pays préférait sauvegarder ses relations avec l’Etat Hébreu, même au péril de leurs propres vies, ou de celles de leurs soldats.
Depuis lors, en particulier avec les attentats de de Munich en 1972, de Beyrouth contre le quartier général des «marines» ou l’ambassade américaine, au début des années 80, ou bien encore ceux du 11 septembre 2001, beaucoup d’indices tendent à penser que le gouvernement israélien, quand ses intérêts sont en jeu, fasse non seulement peu de cas des vies de ses alliés, mais aussi parfois de ses propres ressortissants. Et rien ne vient démontrer que cela ait pu changer.
* Médecin de libre pratique.
«Assault On The Liberty», de James M. Ennes Jr, éd. Reintree Press, New York, 2002.
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