Corruption en Tunisie : Abbou a trouvé, Saïed cherche toujours !

En Tunisie, la lutte contre la corruption sert toujours de slogan de campagne pour les hommes politiques en quête de popularité, mais en pratique, ce sont souvent les plus corrompus parmi leurs compatriotes qui veillent sur la bonne santé du système qui les protège. Les hommes passent, et trépassent, mais le système demeure…

Par Ridha Kefi

«Beaucoup de Tunisiens ont peur de retourner dans le système corrompu en cas de démission du président Kaïs Saïed, mais en réalité, nous reviendrons au système corrompu dans tous les cas», a averti Mohamed Abbou, qui parlait dans l’émission Studio Shems sur Shems FM, vendredi 10 juin 2022.

Les doutes d’un rabat-joie nommé Mohamed Abbou

L’ancien ministre et fondateur du Courant démocrate (Attayar), dont il démissionné, ne fait pas mystère de son opposition au président de la république Kaïs Saïed, dont il a souvent critiqué la dérive autoritaire, et il doute sérieusement de la capacité du locataire du palais de Carthage à venir à bout du fléau de la corruption, bien enraciné dans le pays à la faillite duquel il a fortement contribué.

Comment sortir du système corrompu, que les mesures exceptionnelles proclamées par le président Saïed le 25 juillet 2021 se sont donné pour objectif d’abolir? Réponse de M. Abbou sous forme de boutade : «Il faut que tous les Tunisiens se réveillent, et je doute fort que la majorité se réveille».

Difficile d’être plus fataliste et plus rabat-joie que M. Abbou, qui n’a visiblement pas une haute idée de ses compatriotes, lesquels sont, à l’en croire, naturellement portés sur la corruption sous toutes ses formes. Et il n’a pas totalement tort. Que celui qui n’a jamais triché lui jette la première pierre !

Pour avoir été deux fois ministre en charge de la réforme de l’administration publique et de la lutte contre la corruption, sans enregistrer le moindre succès dans ces deux missions, M. Abbou sait de quoi il parle et ses doutes sur la capacité de Saïed de triompher du système de corruption en place dans le pays depuis un demi-siècle sont donc fondés sur une connaissance intime de la société qui a donné naissance à ce système.

La corruption est-elle donc une fatalité dont il va falloir s’accommoder pour ne pas faire une dépression nerveuse ? La réponse est affirmative. Pour preuve, même Ennahdha, le mouvement de ceux qui disent «craindre Dieu», est gangrené par la corruption et financé par l’argent sale, estime M. Abbou, qui ajoute : «Il ne peut pas nous convaincre qu’il est un mouvement propre.»

S’adressant ensuite aux dirigeants du mouvement islamiste tunisien, passé aujourd’hui dans l’opposition, M. Abbou leur lance : «La loi actuelle au nom de laquelle vous vous opposez aujourd’hui au président Saïed stipule que le financement étranger est un crime, que faire chanter des hommes d’affaires est un crime et que la corruption est un crime», laissant entendre qu’ils ont commis tous ces délits lorsqu’ils ont dirigé la Tunisie, entre 2011 et 2021.

Les juges font la loi

Le problème – et M. Abbou, qui était aux affaires, le sait très bien –, ce n’est pas de savoir si ces accusations sont fondées ou non, car tout le monde en Tunisie sait qu’elles le sont pour y avoir eu l’illustration d’une manière ou d’une autre (demandez aux hommes d’affaires ayant été rackettés par Ennahdha en raison de leurs liens avec l’ancien régime, et ils vous le confirmeront, mais off the record). Le problème c’est d’avoir des dossiers contenant des preuves matérielles irréfutables et que les juges, qu’ils soient animés de bonne ou de mauvaise foi, ne sauraient laisser moisir dans les tiroirs sans encourir eux-mêmes le risque de poursuites judiciaires. Et c’est à ce niveau-là que M. Abbou attend le président Saïed, qui ne cesse d’affirmer qu’il dispose de dossiers volumineux incriminant des responsables politiques, des hommes d’affaires et des hauts fonctionnaires de l’Etat, sans pour autant être en mesure d’en faire coffrer quelques uns.

En fait, M. Saïed fait comme tout le monde : il puise ses accusations dans la grande poubelle à ciel ouvert que sont les réseaux sociaux, et les juges corrompus, qui ne cessent d’essuyer son courroux, voient leur tâche énormément facilitée par cette incapacité des pouvoirs publics à constituer des dossiers d’accusation dignes de ce nom.

On ne va tout de même pas demander à ces chers juges ripoux de faire un effort eux-mêmes dans ce sens! S’ils perçoivent des salaires parmi les plus élevés de la fonction publique, ce n’est sûrement pas pour défendre les intérêts de l’Etat qui les emploie et les paye, mais pour s’assurer un complément de salaire et boucler leurs fins de mois difficiles (leurs Audi, Mercedes et BMW consomment beaucoup d’essence, les pauvres!), et ce en louant, indirectement, leurs services aux lobbys politiques et financiers.

Cherchez l’erreur que M. Abbou a trouvée depuis longtemps mais que M. Saïed cherche toujours !

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