Tunisie-Grève des juges : inutile et contre-productive

Plus peut-être que la grève que les magistrats ont décidé de prolonger d’une quatrième semaine, à partir de ce lundi 27 juin 2022, ce qui choque le plus dans cette affaire c’est le silence complice des acteurs politiques face à cette action irresponsable qui prend l’Etat, la justice et les justiciables en otages. Loin de ternir l’image de Kaïs Saïed ou de réduire sa popularité, cette grève des juges n’a pas fini de grandir le chef de l’Etat (et de rapetisser ses détracteurs) aux yeux des Tunisiens.

Par Imed Bahri

L’irresponsabilité des magistrats, qui font passer les intérêts de leur corporation avant ceux des justiciables qu’ils sont censés servir et qui justifient les gros salaires qu’ils perçoivent, l’un des plus hauts de la fonction publique, nous en avons déjà eu un avant-goût à plusieurs reprises, notamment lorsqu’ils ont paralysé les tribunaux pendant plus d’un mois en 2020 pour exiger une nouvelle hausse salariale, qu’ils ont d’ailleurs finalement obtenue.

Un corps impopulaire dans l’opinion

La décision de poursuivre leur actuelle grève pendant une quatrième semaine, quitte à sortir tout de suite après en vacances, les vacances judiciaires étant fixée du 16 juillet au 31 août, vient confirmer tout le mal que l’opinion publique pense de ce corps de métier qui a toujours été au cœur du système de corruption en Tunisie, sous les règnes successifs de Bourguiba, de Ben Ali et des islamistes d’Ennahdha, depuis 2011, refusant de se réformer et d’assainir ses rangs des éléments qui font honte à toute la corporation.

Aussi cette grève illimitée, lancée pour protester contre la révocation de 57 juges poursuivis dans des affaires de corruption et d’atteinte à la sûreté de l’Etat, ne rehausse-t-elle pas l’image d’une corporation ô combien décriée auprès de l’opinion. Au contraire, il suffit de lire les réactions outrées des citoyens sur les réseaux sociaux et les critiques acerbes qu’ils adressent aux juges, à tous les juges sans exception, pour prendre conscience de l’inanité de cette action, peu soutenue, car dénuée de toute légitimité, et qui rejaillira négativement sur ceux qui la mènent.

La courte vue des grévistes

En poursuivant ce bras-de-fer, les juges grévistes tablent-ils vraiment sur une capitulation du président Kaïs Saïed face à la dureté de leur mouvement ? Si c’est le cas, qu’ils nous permettent de déplorer leur courte vue  et leur méconnaissance suicidaire des réalités. Car, non seulement M. Saïed n’est pas du genre à reculer face à l’adversité ou même à changer le fusil d’épaule, mais il n’a aucune raison objective pour le faire et pour cause : il bénéficie du soutien de l’écrasante majorité des citoyens, qui attendent des juges qu’ils fassent eux le ménage dans leurs rangs et assainissent leur corporation qui n’a pas bonne presse.

Par ailleurs, cette grève, par son inutilité même, ajoute à la popularité du président Kaïs Saïed et décrédibilise davantage ses détracteurs, à commencer par les juges grévistes. Mais elle décrédibilise aussi les partis de l’opposition dont les dirigeants, par irresponsabilité, par lâcheté ou par calcul opportuniste, n’ont pas cru devoir émettre un avis sur la crise de la justice, s’ils n’ont pas carrément soutenu le juges grévistes, faisant fi de l’intérêt général et de celui des justiciables dont les dossiers traînent depuis plusieurs années dans les méandres puants des palais de justice, devenus des «palais de l’injustice», selon l’expression même de M. Saïed.

Ces activistes politiques sans honneur, sans principes et sans envergure, méprisés par une majorité de la population qui ne les supporte plus et leur renie toute représentation populaire, comptent sur les juges et les dirigeants de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), qu’ils poussent vers des positions extrémistes, pour, espèrent-ils, déstabiliser Kaïs Saïed. Ils ne se rendant même pas compte qu’en se rendant ainsi complices des réseaux de la corruption, ils sont en train d’ouvrir devant le président de la république un boulevard pour remporter la prochaine présidentielle.

Les Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre (PDL) ou Fadhel Abdelkefi, président d’Afek Tounes, pour ne citer que ces deux-là, qui ne sont pas exprimés sur la grève des juges, par irresponsabilité, par lâcheté ou par calcul opportuniste, n’auront bientôt que leurs yeux pour pleurer.

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