Nous publions ci-dessous la traduction d’un éditorial du Washington Post intitulé «Le temps presse pour arrêter le glissement de la Tunisie vers le règne d’un seul homme». Il est toujours intéressant de savoir comment les partenaires historiques de la Tunisie voient sa situation actuelle. Une vision dont dépend, en grande partie, notre avenir. (Ph. Johanna Geron-Reuters)*
Par Washington Post
Dans le grand Moyen-Orient, le voyage du président Biden en Israël et en Arabie saoudite a dominé l’actualité et presque monopolisé l’attention diplomatique. Cela aurait pu être inévitable – mais c’est néanmoins malheureux, dans la mesure où cela détourne l’attention de la destruction en cours de la démocratie en Tunisie.
Le président Kaïs Saïed, bien que légitimement élu en 2019, a utilisé son pouvoir pour saper les institutions politiques autrefois prometteuses du pays, établies à la suite d’un soulèvement de 2011 contre la dictature.
Un hiver politique
La révolte tunisienne a déclenché le printemps arabe, qui a tragiquement échoué ou a été vaincu par les dictateurs de la région. Les plans de M. Saied pour une nouvelle constitution, qu’il cherche à faire adopter lors d’un référendum prévu pour le 25 juillet, pourraient approfondir cet hiver politique.
Cette date marque l’anniversaire du jour en 2021 où M. Saïed a limogé le Premier ministre et suspendu le Parlement, invoquant les pouvoirs d’urgence présidentiels et la nécessité de faire face à l’indéniable crise politique et économique de la Tunisie. L’armée a empêché les législateurs d’entrer au parlement, signe que M. Saïed bénéficiait d’un soutien militaire.
En effet, de nombreux Tunisiens, frustrés par la corruption et l’impasse partisane, ont applaudi sa décision. Depuis lors, cependant, les problèmes économiques et sociaux persistent. Le président a eu recours au gouvernement par décret et à la répression de ceux qui s’opposent à sa prise de pouvoir, y compris le parlement élu, qu’il prétendait dissoudre le 30 mars en représailles pour avoir tenté de réaffirmer ses pouvoirs constitutionnels.
Retour au système d’avant le printemps arabe
Certes, M. Saïed a contrôlé la rédaction du projet de constitution, qui n’a été finalisé que le 8 juillet. Au lieu du système mixte parlementaire-présidentiel créé par la constitution adoptée après le soulèvement, en 2014, le projet de M. Saïed reviendrait vers un système rappelant celui que la Tunisie avait avant le printemps arabe.
Le président pourrait désigner et limoger un Premier ministre sans consultation de l’Assemblée; le seul recours de celle-ci contre le cabinet trié sur le volet par le président serait une motion de défiance nécessitant une majorité des deux tiers.
Le président pourrait également dissoudre le parlement mais ne pourrait pas être destitué.
Alors que les présidents seraient formellement limités à deux mandats de cinq ans, ce mandat pourrait être prolongé.
Le parlement élu serait encore affaibli par la création d’un nouveau «Conseil des régions» vaguement défini.
D’autres mesures pourraient restreindre l’indépendance judiciaire.
Élu avec plus de 70% des voix en 2019, M. Saïed a fait campagne en tant que populiste et compte sur une popularité résiduelle, couplée à l’apathie des électeurs et au manque d’informations, pour remporter ce plébiscite organisé à la hâte.
Il compte également sur une réponse passive des alliés de la Tunisie dans l’Union européenne (UE) et aux États-Unis, qui ont émis diverses admonestations verbales. La plus récente déclaration de l’UE était particulièrement tiède; elle se contente de «prendre note des préoccupations» concernant la nouvelle constitution.
Le levier de l’aide économique
Le plus impressionnant pour M. Saïed a probablement été la menace de l’administration Biden en avril de réduire l’aide militaire bilatérale de 122 millions de dollars à 61 millions de dollars l’année prochaine, mais cette loi n’a pas encore été promulguée.
Il existe un effet de levier supplémentaire sous la forme d’une aide économique américaine bilatérale et du besoin potentiel de la Tunisie d’un plan de sauvetage du Fonds monétaire international. Les gouvernements occidentaux doivent l’utiliser, sinon la cause de la démocratie arabe perdra.
** Les titre et sous-titres sont de la rédaction.
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