L’auteur axe sa réflexion sur le très contesté article 5 du projet de Constitution soumise par le président de la république Kaïs Saïed au au référendum du 25 juillet courant. Il y voit ce qu’il appelle «une régression décidée».**
Par Ali Mezghani *
Outre les arguments pertinents développés par ailleurs, il est une autre conséquence que l’article 5 du projet de constitution dans sa double versions du 30 juin et du 8 juillet induit inévitablement et nécessairement : il annule, saborde et met fin à l’évolution de la jurisprudence tunisienne. Il met fin à l’œuvre constructive des juridictions tunisiennes dans leur interprétation de ce qui sera l’ancien-défunt article 1er des constitutions de 1959 et 2014.
La confusion entre religion et législation
Après des années d’hésitations, la justice tunisienne a fini par renoncer à la thèse de la confusion entre religion et législation, se référant au «fiqh» (jurisprudence islamique) ou à la «charia» (loi islamique) dans l’interprétation et l’application du droit positif et singulièrement du Code du statut personnel (CSP), les juges tunisiens se sont ralliés de façon constante depuis la fin des années 1990 à la thèse de l’autonomie du droit étatique.
La religion, l’islam en tant qu’il est foi ou système de normes n’est plus opérant dans la compréhension des textes du droit positif (le mariage d’une musulmane avec un non-musulman n’est pas interdit par la loi, la disparité de culte n’est pas un empêchement à l’héritage, les répudiations prononcées à l’étranger ne sont pas reconnues, etc.).
Les juges se sont appuyés pour ce faire sur les principes fondamentaux retenus en droit interne et notamment le principe d’égalité, sur les conventions internationales pertinentes ratifiées par la Tunisie et sur les principes universels des droits de l’homme.
Le droit subordonné aux finalités de la religion
La révolution de 2011 n’a pas été l’occasion d’une remise en cause de cette orientation puisque les décisions rendues au plus haut niveau de la hiérarchie judiciaire (Cour de Cassation) confirment le détachement du droit de l’emprise religieuse.
Il n’en sera plus de même avec le nouvel article 5, puisque la justice n’est plus qu’une fonction et non un pouvoir. Une fonction étatique, subordonnée, qui se doit de mettre en œuvre les finalités de la religion et donc ses prescriptions, le juridique se fondant dans le religieux.
Ainsi le passéisme n’est plus seulement une tentation***, il est à l’œuvre.
* Professeur agrégé à la faculté des sciences juridiques de Tunis.
** Le titre et les intertitres sont de la rédaction.
*** Référence à un ouvrage de l’auteur intitulé «La tentation passéistes. Les sociétés musulmanes à l’épreuve du temps» (Sud Editions, Tunis, 2021, 394 pages).
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