Est-ce avec les campagnes minimalistes et conjoncturelles, souvent d’ailleurs sans lendemain, que la Tunisie va relever le défi de son déficit énergétique qui continue de se creuser sur un fond de flambée des prix de l’énergie sur le marché mondial ?
Par Imed Bahri
Les mois de juillet et d’août sont, en Tunisie, les plus énergivores par rapport au reste de l’année, la demande d’électricité se développant pendant les heures de pointe estivales à un rythme accéléré de 140 mégawatts par an.
Selon le directeur général de l’Agence nationale de maîtrise de l’énergie (ANME), Fathi Hanachi, qui parlait lors d’une conférence de presse pour présenter le contenu de l’événement «Été 2022, l’été de la maîtrise de l’énergie», jeudi 28 juillet 2022, les investissements dans le système électrique sont passés de 400 millions de dinars tunisiens (MDT) en 2011 à 640 MDT en 2021.
Saha ennoum baba !
M. Hanachi a présenté à cette occasion les activités prévues dans le cadre de cet événement, inscrit dans une campagne nationale de terrain pour l’économie de carburant et la maîtrise de l’énergie dans les institutions publiques et les grandes zones urbaines. Une campagne d’affichage urbain et une autre sur le web sont également prévues. En plus de la célébration de l’atteinte d’un million de mètres carrés de chauffe-eau solaires à concentration dans le secteur résidentiel.
Dans la conjoncture actuelle, toute action publique visant à maîtriser les dépenses d’énergie est bonne à prendre, mais il est tout de même étonnant de constater que l’administration publique, qui n’a jamais été réactive et encore moins proactive, ait attendu la fin du mois de juillet pour lancer une pareille campagne, alors que le prix de l’énergie flambe dans le marché mondial depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine… il y a cinq mois ! Saha ennoum baba !
Quand on sait l’ampleur du déficit énergétique de la Tunisie, qui produit moins de la moitié de ses besoins dans ce domaine, on est aussi en droit de s’interroger sur l’efficacité des institutions publiques en charge de la maîtrise de l’énergie et du développement des énergies renouvelables, dont le taux dans la consommation énergétique nationale reste désespérément faible.
Ce n’est pas avec les campagnes minimalistes et conjoncturelles, souvent d’ailleurs sans lendemain, que l’on va relever le défi du déficit énergétique en Tunisie.
Une irresponsabilité générale
Cela fait des années que le Plan solaire tunisien (PST), table tapageusement sur la production de 30% de l’électricité totale à partir d’énergies renouvelables d’ici 2030. Mais au-delà des effets d’annonce, dont se suffisent souvent les responsables du secteur pour montrer qu’ils travaillent, qu’en est-il en réalité ?
Dix ans avant la date butoir de 2030, c’est-à-dire en 2020, l’énergie thermique conventionnelle (charbon, gaz naturel et pétrole) représentait toujours plus de 93% de la capacité de production d’électricité installée dans le pays. Et au rythme très lent auquel avancent les projets d’installation de centrales solaires photovoltaïques, cet objectif de 30% ne sera sans doute pas atteint en 2030, et peut-être même pas en 2040.
Ne nous voilons pas la face et ne racontons pas des fables aux citoyens qui, eux aussi, ne font pas d’effort pour réduire ou rationaliser leur consommation d’énergie.
Pour illustrer cette irresponsabilité générale, nous prendrons un seul exemple qui parlera à tout le monde : les climatiseurs, grands consommateurs d’électricité, fonctionnent à longueur de journée dans les administrations publiques durant les mois chauds de l’été.
Autre exemple : les mosquées (le pays en compte plus de 5000) où les climatiseurs (jusqu’à quatre ou cinq par mosquée) fonctionnent également tout au long de la journée, et même durant la soirée pour le confort des fidèles, et même du seul agent en charge du lieu de culte lorsque les fidèles sont tous rentrés chez eux.
Grands consommateurs, mauvais payeurs
Pour ne rien arranger, et pour montrer l’ampleur de la mauvaise gouvernance dans ce secteur : tous ces établissements publics, qui consomment beaucoup d’électricité, ne payent pas leurs factures à la Société tunisienne d’électricité et de gaz (Steg), et leurs dettes s’accumulent au fil des ans, sans que l’Etat ne trouve de solution à ce problème qui grève le budget de la société publique.
A fin octobre 2021, les factures impayées de la Steg s’élevaient à 2 470 millions de dinars tunisiens (MDT), un montant exorbitant qui représente près du tiers du chiffre d’affaires annuel de la société. Ces factures impayées se répartissent entre 1 100 MDT auprès des clients particuliers et petits métiers (soit 40 à 45% du montant global), 90 MDT auprès des clients industriels (unités touristiques, associations de l’eau et usines), 206 MDT auprès des collectivités locales (municipalités).
Les impayés des entreprises publiques s’élèvent, quant à eux, à 539 MDT, tandis que ceux des ministères et autres établissements publics, y compris les administrations régionales, atteignent 370 MDT. A cela s’ajoutent les pertes essuyées par la société en raison des connexions frauduleuses à son réseau.
En d’autres termes, les impayés cumulés auprès des établissements et des entreprises publics, qui sont les plus difficiles à recouvrer, eu égard les difficultés financières actuelles de l’Etat, dépassent 1 115 MDT, soit près de la moitié du montant global des impayés que la société doit recouvrer pour retrouver son équilibre financier.
Ces chiffres ont sans doute augmenté depuis octobre 2021, car la situation des finances publiques s’est aggravée entre-temps.
En recevant le ministre de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche, Mahmoud Elyes Hamza, le 27 juin dernier, le président de la république Kaïs Saïed l’a sermonné à propos des coupures d’eau dans certaines régions rurales. On sait cependant que la gestion de l’eau dans ces régions est assurée par les associations hydrauliques, lesquelles ne payent pas leurs factures de la Steg et de la Sonede depuis plusieurs années. Qu’à cela ne tienne, il faut raccorder d’urgence ces associations au réseau, a ordonné le président, quitte à rééchelonner la dettes de ces associations pour qu’elles puissent reprendre leurs activités et faciliter l’accès à l’eau potable à tous les citoyens.
On sait cependant, par expérience, que rééchelonnées ou pas, les dettes, devenues importantes, ne sont jamais payées. La mentalité de «rizk el beylik» (ou Etat providence) a la vie dure !
Cherchez l’erreur ! Ou, plutôt, trouvez l’homme ou la femme providentielle qui, au lieu de faire du populisme de bas étage, trouvera la solution à ce genre d’inextricables situations: stress énergétique, déficit financier et mauvaise gouvernance.
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