La Tunisie, qui occupe une place unique dans le monde arabe en matière de droits des femmes, doit assumer un rôle de leader dans la campagne pour un nouveau cadre normatif mondial sur les violences faites aux femmes et aux jeunes filles.
Par Najet Zammouri *
Alors que nous nous apprêtons à célébrer en Tunisie la commémoration du 66e anniversaire du Code du statut personnel promulgué le 13 août 1956, nos lois contre les violences faites aux femmes demeurent les plus strictes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
Néanmoins, il convient de noter les efforts de la Tunisie pour faire avancer un cadre régional sur les violences, et le co-parrainage de la Tunisie du Plan d’action mondial de l’Assemblée mondiale de la santé pour renforcer le rôle du système de santé dans le cadre d’une réponse nationale multisectorielle pour lutter contre les violences interpersonnelles, en particulier contre les femmes, les filles et les enfants
Il en va de même de la loi 58 de 2017 pour lutter contre les violences faites aux femmes, loi qui fait date, de l’accord intersectoriel de 2018 signé avec la société civile pour venir en aide aux victimes de violences, et la création en septembre 2021 de l’Observatoire national pour la prévention des violences faites aux femmes.
Leadership de la société civile féministe tunisienne
Ces initiatives en disent long non seulement sur le sérieux de l’engagement de la Tunisie envers les femmes et les filles mais aussi le leadership de la société civile féministe tunisienne depuis plus des décennies.
Il n’en demeure pas moins que les violences faites aux femmes et aux filles ne sont toujours pas traitées de manière exhaustive dans aucun traité international spécialisé. Bien que les références aux violences faites aux femmes dans les traités internationaux et régionaux soient nombreuses, elles diffèrent en termes de portée et de nature.
Certaines normes internationales traitent des aspects spécifiques de ce fléau mondial, comme la traite des personnes, les violences en période de conflit armé ou les violences sur le lieu de travail.
Certaines normes internationales traitent même la manière dont les femmes subissent des formes spécifiques de violences en raison des inégalités sociales ou des risques supplémentaires, telles que les femmes porteuses d’handicap, autochtones, migrantes ou âgées.
Cependant, aucun traité international n’aborde de manière exhaustive tous les aspects du devoir d’un État de respecter, promouvoir et appliquer le droit de chaque femme à vivre sans subir de violence. Un nouveau traité holistique axé uniquement sur les violences faites aux femmes et aux jeunes filles apporterait une cohésion normative indispensable tout en clarifiant les définitions, les droits et les responsabilités.
Il faut une définition claire et complète des violences faites aux femmes, un énoncé clair des droits à appliquer pour assurer l’éradication des violences faites aux femmes sous toutes leurs formes, un engagement des États vis-à-vis de leurs responsabilités et un engagement de la communauté internationale dans son ensemble en faveur de la lutte contre les violences faites aux femmes.
Lignes directrices ou obligations juridiquement contraignantes
Il est vrai que la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (Cedaw) aborde certaines formes de violences faites aux femmes, telles que la traite des personnes et les mariages forcés ou mariages d’enfants, cependant, le texte de la Cedaw ne traite pas expressément des formes les plus courantes : les violences domestiques et sexuelles. La Cedaw ne mentionne pas non plus les mots «viol», «agression» ou «violence». Pour cette raison, le comité de la Cedaw en a donné une interprétation créative afin de combler cette lacune normative. Les recommandations générales qui en résultent, principalement les recommandations 12, 19 et 35, offrent un tableau plus complet.
Cependant, les États considèrent souvent qu’il s’agit de lignes directrices convaincantes et non pas des obligations juridiquement contraignantes, étant donné que ces recommandations ne figurent pas dans le texte du traité que les États ont ratifié.
Par ailleurs, un nouveau traité portant uniquement sur les violences faites aux femmes et aux jeunes filles qui s’appuierait sur les recommandations novatrices du comité du Cedaw et intégrerait d’autres sources non contraignantes dans une norme internationale complète et juridiquement contraignante est nécessaire.
L’adoption d’un traité spécialisé sur les violences faites aux femmes s’inscrirait donc dans la lignée des efforts précédents visant à combler le vide normatif laissé par le vaste champ d’application d’autres accords internationaux. Un exemple pertinent est celui de la Convention contre la torture
Every Woman Treaty est une campagne pour ce nouveau traité menée par et pour les défenseurs des droits humains et des féministes, par et pour des femmes qui sont particulièrement et de plus en plus vulnérables aux violences, notamment aux homicides. La cofondatrice d’Every Woman Treaty, la juge Najla Ayoubi, qui a fui l’Afghanistan après l’assassinat de son père et de son frère et après que des menaces de mort aient été proférées contre sa vie, est l’une de ces ferventes fondatrices… Elle souligne qu’une nouvelle norme est la seule mesure crédible qui leur reste pour leur assurer un soutien indispensable notamment dans les pays pauvres du Sud.
Par conséquent, nous exhortons la Tunisie, qui occupe une place unique dans le monde arabe, à assumer un rôle de leader dans la campagne pour un nouveau cadre normatif mondial sur les violences faites aux femmes et aux jeunes filles.
* Membre du bureau directeur de la LTDH, chargée des droits des femmes.
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