De l’urgence de recadrer la Cité des sciences à Tunis et le Palais des sciences de Monastir

On devrait tous être fiers d’avoir, sur notre territoire national, deux institutions entièrement dédiées à la diffusion de la culture scientifique. En l’occurrence la Cité des sciences à Tunis et le Palais des Sciences de Monastir. Deux fanaux venus renouer avec une vieille tradition, celle de notre sempiternelle conquête du savoir.  

Par Adel Zouaoui *

Force est de constater que ces deux plateformes ne s’identifient pas à proprement parler à des lieux d’apprentissage traditionnel, pédagogiquement codifié et contraignant, mais plutôt à des lieux où les sciences s’offrent très généreusement d’une manière amusante et ludique à ceux ou celles qui viennent librement les découvrir et les explorer.

Une idée venue d’ailleurs

Ce genre de plateforme a en fait commencé à voir le jour depuis le début du siècle passé, dans des pays bénéficiant d’un véritable tissu scientifique. Leur invention coïncide bel et bien avec le besoin de mettre les sociétés au parfum de la science et de ses enjeux. Laquelle science n’a eu de cesse de se multiplier, de se complexifier et de se compartimenter, surtout après la deuxième guerre mondiale. Le but étant d’établir un pont entre l’élite, très fermée, des scientifiques tous azimuts et la société en général, toutes catégories sociales et professionnelles confondues.

La mission est de communiquer autant que faire se peut sur la science à plus large échelle, et surtout de l’intégrer dans la culture générale de tous.

Le défi était de taille. Pour pouvoir atteindre cet objectif, faut-il encore pouvoir la vulgariser sans la dénaturaliser, la rendre attractive et d’abord facile. Ainsi est née la vulgarisation scientifique qui est devenue une science à part entière.

Et c’est de cette façon que la science, au sein de ces plateformes, est devenue plus attrayante moins rébarbative, palpable.  Elle se touche du bout des doigts, se hume, se sent et se manipule à l’envie. Elle aime à s’incarner désormais en des objets et des manips.

La Tunisie n’a pas tardé à emboiter le pas aux nations développées. Elle s’est dotée, elle aussi, de deux centres de sciences.  Le premier, la Cité des sciences à Tunis, a vu le jour depuis 2002. Le deuxième, le Palais des sciences de Monastir, a ouvert ses portes en 2007.

L’inadmissible déviation

Si ces deux institutions publiques, édifiées par l’argent des contribuables, ont connu leur heure de gloire à leur tout début, elles n’ont pas tardé malheureusement à être déviées de leur objectif principal, celui de créer l’engouement envers les connaissances auprès d’un large public et surtout auprès des jeunes et des moins jeunes. Elles se sont au fil du temps perverti en des caisses à résonance aux desiderata politiques ou idéologiques de leurs premiers responsables. Ainsi la sur-communication s’est à fortiori substituée à la médiation scientifique.  Il n’y a qu’à jeter un coup d’œil sur les pages Facebook et sites Web de ces deux institutions respectives pour prendre la mesure de la gesticulation médiatique autour de n’importe quel événement, soit-il de peu d’importance. La stratégie des effets d’annonce et du trop-plein d’images constitue désormais un épais écran de fumée dissimulant le déficit abyssal d’un véritable travail de fond, de créativité et d’innovation.

La Cité des sciences de Tunis, un centre de savoir.

 Pour se rendre compte de cet état de fait, il n’y a qu’à se déplacer sur les lieux. Dans le cas de la Cité des sciences, la moitié des manipulations demeurent en panne, pas de gadgets ni d’artefacts et jeux incarnant certains principes scientifiques qu’on peut emporter en guise de souvenir. Côté éditorial, c’est le vide abyssal. Il n’y a ni brochure, ni dépliant, ni guide vous renseignant sur le lieu qui pourtant regorge d’histoire. Aussi, il n’y a pas l’ombre d’un bulletin d’information qui informe sur les programmes trimestriels à venir, ni ouvrages, ni bande dessinée, ni publications parlant de science et de ses enjeux.

Pour ce qui des activités, tout semble être perverti par manque d’esprit d’imagination et d’innovation. Les conférences grand public prennent des allures de cours magistraux. Et les ateliers qui doivent naturellement être gratuitement ouverts se transforment en une sorte d’écoles qu’on se plait à qualifier, au gré des saisons où elles se déroulent, d’été ou d’hiver. Lesquelles s’apparentent plus à des cours de rattrapage pour élèves en difficulté puisque pour y participer on se doit de s’acquitter de certains frais.

Outre la discrimination par l’argent, ces prétendues écoles se trouvent aux antipodes de l’esprit même des centres de sciences, qui, eux, offrent des environnements d’apprentissage libre et non structuré, puisque exempts des contraintes inhérentes à l’enseignement classique. C’est comme si on a oublié que contrairement aux enseignants dans les établissements scolaires, les médiateurs dans les centres de sciences ne transmettent pas les savoirs mais plutôt accompagnent le public, en l’incitant à découvrir et explorer la science par lui-même.

L’incident de trop au Palais des sciences de Monastir

L’invitation d’un prédicateur égyptien, présenté comme médecin pédiatre, samedi dernier, 20 août 2022, au Palais des sciences de Monastir vient à point nommé corroborer l’impression de la déviation de ces centres de leur première mission. Sinon qu’est venu faire ce salafiste du nom Sherif Taha Younes dans ce haut lieu de la culture scientifique. Bien que le thème de la conférence soit intéressant, puisqu’il a trait aux méthodes d’apprentissage innovantes pour enfants souffrant de troubles de l’apprentissage, l’allure de l’intervenant, portant une barbe drue et hirsute, tranche avec l’image de la science et du savoir que l’on s’échine à promouvoir.

Quant à la conférence où plusieurs extrémistes représentants de différentes associations et organisations douteuses étaient présents nous rappelle les tristes conclaves de terroristes se tenants dans les grottes de Tora Bora au Pakistan. 

Palais des sciences de Monastir.

Repenser ces deux structures relève d’une urgence immédiate

Pour éviter toutes sorties de route, les responsables de ce genre d’institutions, dans d’autres pays, n’ont pas les coudées franches. Ils sont épaulés, secondés et encadrés par des conseils scientifiques se tenant d’une manière régulière au sein de leurs institutions. Lesquels sont constitués par des éminences grises appartenant à plusieurs champs d’activités ayant trait à l’enseignement, à l’éducation et à la culture. Celles-là mêmes contrôlent les programmes quand elles ne contribuent pas à leur conception. 

Pour conclure : pour que ce genre de structures ne devienne pas des avatars édulcorés, il est du devoir du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique de procéder à leur recadrage. Et ce afin qu’ils ne se pervertissent pas ni en agence évènementielle ni en boite de com, et encore moins en de promontoires pour certains responsables qui cherchent à se faire remarquer des pouvoirs publics.

Les centres de sciences se doivent d’être de véritables lieux de transmission des savoirs et de connaissances. Leur mission est d’aiguiser notre curiosité, susciter notre admiration pour les connaissances, et ce afin que nous puissions être au diapason avec le monde moderne d’aujourd’hui, un monde en perpétuel changement.

Enfin pour paraphraser Albert Camus, écrivain français (1913-1960), le rôle de toutes structures d’apprentissage quelles qu’elles soient est avant tout celui d’apprendre à nos enfants à ne pas vivre et à penser dans un monde d’hier, déjà disparu, mais plutôt dans celui d’aujourd’hui, et à fortiori dans celui de demain. Un monde où on pourrait relativiser et questionner nos certitudes et nous ouvrir le plus possible sur les différentes altérités.

* Ancien haut fonctionnaire du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique.

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