Depuis quelques semaines s’est ouvert le grand procès destiné à rendre une justice attendue impatiemment dans le cadre du traitement de l’acte terroriste du 14 juillet 2016 à Nice, au sud de la France. Cet acte odieux a été commis, rappelons-le, par un ressortissant tunisien à la personnalité plus que sulfureuse, légitimement abattu par les forces de l’ordre. (Illustration: quartier « tunisien » de Nice, photo de l’auteur).
Par Jean-Guillaume Lozato *
Rappel des faits : Nice. Promenade des Anglais. Jour de Fête nationale en France. En cette chaude soirée de l’été 2016, l’insouciance festive estivale a laissé place à la plus totale incompréhension.
La cause? De nombreux spectateurs du feu d’artifices ont été fauchés par le camion-bélier conduit par Mohamed Lahouaiej Bouhlel. Traumatisme sur la Baie des Anges: 86 morts, plus de 450 blessés, des hommes, des femmes, des enfants… A l’origine de cet acte abject, un mélange de délinquance et de radicalisation islamiste, à l’image du cheminement chaotique de son auteur, décédé et dont les complices présumés sont traduits logiquement en justice.
La Tunisie au détour d’une rue
C’est le nombre de personnes d’origine tunisienne dans le groupe comparaissant au tribunal et dans la composante sociétale de Nice qui interpelle aussi bien les autorités françaises que les observateurs étrangers, y compris tunisiens.
La communauté tunisienne est l’une des plus représentées en France. Cependant l’échantillon des présumés coupables ne peut être considéré comme représentatif de cette communauté, mais bien symptomatique d’un malaise qui la traverse.
Du malaise au mal-être, l’un comme l’autre sont la cause autant que la conséquence de l’acte terroriste dans une localité niçoise offrant un paysage sociologique surprenant pour qui s’attarde à observer le peuplement de ses divers quartiers. L’architecture-même donne à contempler un patchwork aux influences piémontaises, françaises, franco-provençales, alpines, britanniques… Puis la xénophobie s’invite quelquefois, comme dans beaucoup de villes aux tensions frontalières ancestrales.
En revanche, l’Île-de-France présente le «quartier tunisien» de Paris, dont l’épicentre, Couronnes, jongle entre Belleville et Ménilmontant, à l’axe principal défini par la pentue rue Jean-Pierre Taimbault aux échoppes tenues le plus souvent par des gens de Zarzis et de Djerba. Les petites rues environnantes agissant comme des affluents avec leurs pâtisseries proposant makroud et autres besboussa, leurs boucheries halal (Boudalia étant une référence chez les expatriés), leurs salons de coiffure rétro ou modernes (Najet’s Coiffure proposant les préparations de la mariée «comme au bled»).
Gare aux amalgames faciles !
Tandis que le quartier fortement connoté «tunisien» en région PACA offre un agencement partagé entre deux rues parallèles. Donc un périmètre plus restreint que dans la capitale. Néanmoins, la concentration de culture tunisienne s’y révèle très dense. Impression de torpeur, de cloisonnement renforcé par le régionalisme de cette population allochtone majoritairement originaire d’un périmètre Monastir-Sousse, et très souvent aussi de Msaken.
C’est en s’attardant sur ces détails quotidiens que le promeneur s’aperçoit de ce particularisme juste derrière la gare de Nice, en un enchevêtrement de ponts, de tunnels et d’une voie rapide entortillée.
Contrairement à son homologue parisien, ce périmètre «tunisien» de Nice constitue une enclave. Alors que la Tunisie de Couronnes présente des caractéristiques plus religieuses au moyen de ses librairies spécialisées dans l’univers coranique (la maison d’édition Al Bouraq entre autres) tout en s’ouvrant plus sur le monde car mieux desservie, le territoire des Alpes Maritimes rend une vision plus intimiste confirmée par la succession de commerces suggérant un regroupement identitaire centré davantage autour de la Tunisie que de l’islam.
Cet isolement a pour effet une méconnaissance de la communauté de la part de la population européenne de souche, engendrant par là une impréparation au jugement d’un groupe ethnique représentatif d’une partie de son pays d’origine mais simultanément difficilement représentatif en totalité de sa nation ou des Musulmans en général.
Voilà pourquoi, faire des amalgames sous couvert de chercher des causes à des problèmes d’intégration peut conduire promptement à l’erreur.
Au vu de l’attentat de 2016, de ses commémorations et de l’organisation du procès, la communauté tunisienne de Nice court toujours le risque de voir son image malmenée.
Une sensation de repli se dégage, plurifactorielle. La localisation du quartier, coincé dans une zone à l’esthétique aléatoire. Son habitus parfois délabré agit comme un facteur discriminant. Des épisodes de racisme ont renforcé ce repli davantage au sud-est de la France qu’en Région Parisienne ou qu’en Bretagne.
Toutefois, une chose positive intervient dans les éléments jouant sur le repli : la participation très active au marché niçois de l’emploi des gens d’origine tunisienne, leur prenant donc beaucoup de temps. Pour cela, il suffit de se rendre compte de la frénésie des travailleurs du BTP se réunissant au café Zizou ou au salon de thé Metoui afin de constituer les équipes journalières sur les chantiers. Ou encore de regarder les nombreux boutiquiers s’affairer. L’occasion aussi de prendre le temps de constater que parmi les huit inculpés du procès figurent quatre personnes d’origine tunisienne, mais également quatre personnes d’origine albanaise chrétienne liées au banditisme.
Pour combattre le traitement expéditif des médias et pour que l’objectivité l’emporte sur une subjectivité en route contre une communauté voulant simplement exister tranquillement et dont l’entre-soi s’explique de différentes manières, préservons ce petit bout d’une Tunisie qui console ce juif sépharade âgé rencontré par hasard et qui, bien que résidant dans les beaux quartiers de la cité balnéaire, avoue parcourir le quartier occasionnellement pour se rappeler sa patrie natale quittée au moment de l’indépendance.
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