Le professeur de droit public Abderrazek Al-Mokhtar a estimé que le principal danger du décret n° 55 portant amendement de la loi électorale réside dans «le glissement dans un carré antidémocratique», selon ses termes.
L’universitaire, qui intervenait lors d’un symposium organisé par l’Observatoire Chahed pour la surveillance des élections et des transformations démocratiques et consacré aux élections législatives du 17 décembre prochain à la lumière des décrets-lois n° 54 et n° 55 de 2022, a expliqué que le risque réside dans le nouveau système électoral basé sur le scrutin uninominal à deux tours.
«Aussi attrayant qu’il soit en apparence, ce système implique plus fondamentalement des glissements dangereux dans un carré antidémocratique», a déclaré M. Al-Mokhtar. Et d’ajouter : «Le premier est qu’il n’y a pas d’identité politique pour les participants, et cela va ouvrir la voie à la marginalisation et à la mort de la politique, étant donné que l’identité politique du candidat sera évanescente ou inconnue.»
L’autre glissement dangereux concerne la discrimination anticonstitutionnelle que la nouvelle loi établit entre les détenteurs de la nationalité tunisienne et ceux qui en ont une seconde, ce qui affecte le principe constitutionnel d’égalité.
Le troisième glissement concerne les risques liés au fait de lier le candidat à la circonscription électorale où il se présente. L’éventuel futur député ne sera pas un représentant du peuple, mais de sa région, puisqu’il peut se voir retirer son mandat à la demande du tiers de ses électeurs.
Par sa sophistication, qui n’encourage pas les citoyens à présenter leur candidature, le système des parrainages adopté présente lui aussi des dangers, car il sera difficile à un candidat de rassembler les 400 parrainages exigés, à moitié des femmes et au quart des jeunes, qui plus est exclusivement dans sa circonscription.
Le professeur de droit public a également estimé que la loi électorale dans sa nouvelle version marginalise les femmes et les jeunes, qui auront plus de mal à rassembler le nombre exigé de parrainages, au profit des notables locaux, qui sont généralement des hommes adossés à une société patriarcale, où le lien clanique et/ou tribal est très fort. Les candidats seront, par conséquent, des personnes d’un certain âge, sans identité politique connue, socialement influentes, soutenues par des milieux politiques ou financiers ou issues de grands partis.
Quant au découpage électoral proposé par la nouvelle loi, Al-Mokhtar estime qu’il n’est fondé sur aucun critère scientifique ou rationnel et qu’il suscitera beaucoup de problèmes sur le terrain.
Le professeur de droit public a également exprimé des réserves vis-à-vis du décret n° 54, censé combattre les fake news et la diffamation sur les réseaux sociaux, qui n’est pas, selon lui, favorable à la liberté d’expression et à la liberté de pensée et constitue une atteinte aux droits de l’homme, ajoutant que les élections ne peuvent pas être libres en vertu d’un décret qui fait taire les bouches et représente une épée de Damoclès suspendue sur la tête des gens.
Les textes juridiques existants auraient largement suffit à traiter les phénomènes négatifs ciblés par le nouveau décret, a encore souligné Al-Mokhtar.
I. B.
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