En Tunisie, hier comme aujourd’hui, tout le monde prend tout le monde pour des cons. Au rythme où vont les choses, on va finir par croire que tout le monde est vraiment con !
Par Imed Bahri
Si le porte-parole de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) Mohamed Tlili Mansri a cru devoir assurer, dans une déclaration à l’agence Tap, lundi 3 octobre 2022, que la commission électorale «est totalement indépendante» et qu’elle «n’a aucun lien avec les autorités au pouvoir», c’est parce que des doutes se font de plus en plus entendre sur cette soi-disant «indépendance».
En effet, depuis sa création en 2011, la commission électorale et ses membres ont été critiqués pour leur «affiliation partisane», puisqu’ils étaient alors élus par le parlement, a admis M. Mansri, en précisant que «les membres du bureau de l’Isie sont désormais nommés par le président de la république», comme si cela pouvait être un gage d’indépendance, surtout quand on sait que, depuis la proclamation des dispositions constitutionnelles spéciales, le 25 juillet 2021, Kaïs Saïed a accaparé tous les pouvoirs, qu’il gouverne par décret, ne rend compte de ses décisions à aucune instance et n’est redevable d’explication à personne.
Indépendants, se disent-ils encore…
Au moment où les critiques s’élèvent, à l’intérieur et à l’extérieur, sur la dérive autoritaire du président Saïed, sur la nouvelle constitution qui prive le parlement de tous ses pouvoirs, sur la nouvelle loi électorale qui marginalise les partis, lesquels ne peuvent plus participer en tant que tels aux élections, faire accréditer l’idée qu’une instance électorale dont tous les membres sont nommés par l’hyper-président est «indépendante» du pouvoir exécutif serait une tâche très difficile et ce n’est pas M. Mansri et ses collègues qui y arriveraient.
Comme pour prouver leur totale soumission aux désidératas du chef de l’Etat, les membres de l’Isie n’ont jamais osé exprimer la moindre réserve ni à plus forte raison la moindre critique à l’égard des dispositions très discutables, et d’ailleurs très contestées par la majorité des acteurs et experts politiques, de la nouvelle loi électorale qui, en marginalisant les partis, tue toute forme de pluralisme et vide l’acte électoral lui-même de toute sa signification.
Hier, quand ils étaient élus par des partis au sein de l’Assemblée (qu’ils ne nous disent pas que c’était sur la base de leur compétence et non de leur allégeance à ces mêmes partis), comme aujourd’hui qu’ils sont désignés unilatéralement par le président de la république, le président de l’Isie, Farouk Bouasker, et les autres membres de la commission électorale ne sont pas plus indépendants que n’importe quel autre fonctionnaire public dans une république bananière, nommé, payé et pouvant être également remercié à tout moment par l’Etat.
Tout le monde prend tout le monde pour des cons
D’ailleurs, il suffit d’observer leurs comportements et d’entendre leurs déclarations pour se rend aisément compte qu’ils s’imposent eux-mêmes des limites à leurs prérogatives, expliquent toutes les dysfonctionnements par les défaillances du cadre réglementaire, minimisent sciemment la dimension politique de leur mission qu’ils situent très opportunément dans un cadre purement technique : garantir l’inscription des nouveaux électeurs sur les listes électorales, installer les bureaux de vote, recruter leurs membres, veiller à leur bon fonctionnement, organiser les opérations de vote et de décompte des voix.
Deux tours et puis s’en vont… Pour les dépassements et les abus, allez ester en justice ou, en bon tunisien, «Ichki lil-Aroui» !
M. Bouasker et ses collègues n’ont pas d’opinion sur l’élection en tant qu’opération éminemment politique. Et encore moins sur la constitution et sur la loi électorale : eux, ils «gèrent» les élections, comme elles furent longtemps gérées par les services du ministère de l’Intérieur sous Bourguiba et Ben Ali. Ils «gèrent» et ils gardent leurs opinions pour eux-mêmes. A quoi bon les exprimer ces opinions au risque de perdre leurs postes : l’un des membres, Sami Ben Slama, n’a-t-il pas été limogé parce qu’il parlait trop ? A l’Isie, on l’a compris, c’est motus et bouche cousue. Et on ose effrontément parler d’indépendance ?
En Tunisie, hier comme aujourd’hui, tout le monde prend tout le monde pour des cons. Au rythme où vont les choses, on va finir par croire que tout le monde est vraiment con !
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