La nouvelle orientation des pays arabes vers la Chine, sous l’impulsion de l’Arabie saoudite, doit être menée rationnellement, dans le sens de la préservation des intérêts stratégiques de nos pays dans un monde en crise et plus que jamais marqué par la force.
Par Raouf Chatty *
Le président chinois Xi Jinping a commencé, le 8 décembre 2022, une visite officielle de trois jours à Ryad qualifiée de part et d’autres d’historique. Avec le prince héritier Mohammed Ben Salman, le véritable homme fort de l’Arabie Saoudite, le chef de l’Etat chinois a été au centre des trois sommets organisés à cette occasion, à savoir Arabie Saoudite/Chine, Chine/pays du Conseil de coopération du Golfe et Chine/ pays arabes.
Ces rencontres traduisent la volonté de la Chine de marquer sa présence dans la région arabe, de développer la coopération politique et économique avec l’Arabie Saoudite, les pays du CCG et les autres pays arabes, et de disputer ainsi aux États-Unis leur leur domination de cette région du monde.
Ces sommets témoignent également de la volonté de l’Arabie Saoudite et des autres pays du Golfe de réduire leur forte dépendance des États-Unis, de nouer des alliances avec d’autres grandes puissances et renforcer ainsi leur sécurité dans un environnement régional où les menaces ne manquent pas.
Les ambitions de l’Arabie saoudite
L’Arabie Saoudite, forte de son potentiel pétrolier et financier, de sa place privilégiée dans le monde musulman, tout comme de l’appui des autres États du Golfe, veut se positionner en tant que puissance régionale capable de faire face aux autres puissances de la région, comme la Turquie et l’Iran qui pourraient représenter des menaces sérieuses pour elle et pour ses voisins du CCG.
Le ministère des Affaires étrangères chinois a, dans un communiqué publié au moment du déplacement du président Xi Jinping à Ryad, mis l’accent sur le fait qu’il s’agit de «la plus grande initiative diplomatique chinoise vis-à-vis du monde arabe jamais prise par la Chine», formant l’espoir qu’elle «contribuera au renforcement de l’union et de la coopération avec le monde arabe», en prenant soin d’insister sur le caractère amical des relations entre la Chine et le monde arabe et du respect de la souveraineté des pays, dans une limpide allusion aux ingérences américaines habituelles sur les thèmes de la démocratie et des droits humains.
Pour l’Arabie Saoudite, il s’agit de s’affirmer en tant que puissance politique régionale qui compte, tout en conservant ses relations traditionnelles avec les États-Unis sur la base d’un nouvel équilibre fondé sur le respect des différences.
C’est dans ce le contexte que l’Arabie Saoudite de MBS a opté pour la signature d’un partenariat stratégique avec la Chine englobant la sécurité, les hydrocarbures, les infrastructures, partenariat qui a été consacré, durant le dernier sommet, par la signature de quelques quarante cinq conventions entre les deux pays pour des dizaines de milliards de dollars. De quoi faire de nombreux jaloux dans un monde en crise.
En se positionnant ainsi, le MBS fait une lecture lucide des nouveaux équilibres des forces dans le monde, anticipe les évolutions en cours et cherche à donner des longueurs d’avance à son pays, revigoré par la hausse des cours de l’énergie dans le monde.
Un nouvel équilibre géostratégique
Les États-Unis semblent irrités par ce rapprochement qu’ils entendent entraver, critiquant avec force et de manière franche ce qu’ils appellent la volonté de la Chine d’imposer son hégémonie au reste du monde, hégémonie que, faut-il le rappeler, une bonne partie du monde reproche également à Washington.
Les pays arabes, dont la Tunisie, qui étaient représentés au plus haut niveau au Sommet Chine/États arabes, ont clairement exprimé leurs intentions de renforcer leur coopération avec la Chine dans tous les domaines, se félicitant des positions équilibrées de la Chine vis-à-vis des causes arabes.
Il reste maintenant que cette nouvelle orientation des pays arabes vers la Chine doit être rationnellement et calmement menée. Il s’agit de connaître de manière plus approfondie cet immense pays, son histoire, ses ambitions, ses stratégies, et savoir tirer le maximum de profit des contradictions qui vont caractériser la scène internationale sous le poids des mutations géostratégiques en cours, sous peine de se voir pénalisés et d’aboutir à des résultats contraires à ceux attendus ou espérés.
C’est là un autre défi important que nos pays doivent savoir relever pour aller de l’avant et établir des relations utiles et profitables pour leurs peuples, dans un monde plus que jamais marqué par la force et la compétition.
* Ancien ambassadeur.
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