«Kaïs Saïed est l’ultime exemple de l’incapacité des dirigeants tunisiens successifs à mettre en place des réformes sécuritaires et économiques audacieuses. La Révolution de Jasmin doit plus son succès initial à une illusion d’optique qu’à la réalité», estime l’analyste politique français Francis Ghiles. (Le ministre de l’Intérieur Taoufik Charfeddine reçu hier, vendredi 23 décembre 2022, par le président Kaïs Saïed).
Par Imed Bahri
Dans un article intitulé “Tunisia: in memoriam for a democratic experiment doomed to fail’’, publié par le magazine Arab Digest, Francis Ghiles, analyste politique, spécialiste de la sécurité, de l’énergie et des tendances politiques en Afrique du Nord et en Méditerranée occidentale, parle de l’effondrement de l’expérience démocratique en Tunisie, qui a été accéléré par l’échec des réformes dans le secteur de la sécurité.
Outre l’incapacité des gouvernements successifs à engager des réformes économiques, le chercheur senior au Barcelona Centre for International Affairs explique l’échec de l’expérience démocratique tunisienne par «une deuxième raison souvent négligée» et qui est «l’incapacité du gouvernement qui a pris le pouvoir après la chute de Ben Ali à maîtriser le puissant ministère de l’Intérieur», qu’un spécialiste de la sécurité militaire britannique qualifie de «boîte noire, opaque et irresponsable ‘‘tout à fait soviétique’’». Et l’analyste d’ajouter : «L’absence de réforme du système judiciaire a aggravé le problème.»
Un pouvoir de plus en plus autocratique
Après avoir passé en revue l’évolution chaotique de la transition tunisienne depuis 2011 et la responsabilité dans les échecs accumulés sur tous les plans des différents gouvernement qui se sont succédé, Francis Ghiles en vient à la période actuelle en s’interrogeant, à juste titre, sur l’emprise du président Kaïs Saïed, en poste depuis 2019, sur le secteur de la sécurité «alors qu’il consolide ce qui est une forme de pouvoir de plus en plus autocratique», tout en étant incapable d’«articuler une vision de l’avenir et encore moins de proposer un projet de réforme économique», ce qui, selon lui, «donnera inévitablement plus de pouvoir à un secteur de la sécurité qui ne s’est jamais débarrassé de l’héritage de Ben Ali».
«La croyance de Saïed en une présidence forte peut convenir à la vision plus large que de nombreuses forces de sécurité et officiers de l’armée ont de l’avenir de la Tunisie», écrit-il. Cependant, ces derniers «n’ont pas montré plus de capacité que le chef de l’Etat à articuler une vision socio-économique claire pour la Tunisie.» Conséquence : «Cette apparente convergence d’instincts conservateurs entre Saïed et les forces de sécurité ne peut masquer le fait que ce mariage de convenance est au mieux une construction fragile».
Les Tunisiens échaudés par la démocratie
Par ailleurs, écrit également Ghiles, le taux de participation aux élections législatives du 17 décembre qui a été d’environ 9% montre que «la plupart des Tunisiens se soucient moins de la démocratie qu’ils ne l’ont jamais fait et savent que la forme sous laquelle elle est pratiquée depuis 2011 détruit leur économie et l’avenir de leurs enfants.» Et de terminer par cette conclusion sans concession, qui sonne comme une condamnation de la classe politique tunisienne dans son ensemble : «Kaïs Saïed est l’ultime incarnation de l’incapacité des dirigeants tunisiens successifs à mettre en place des réformes sécuritaires et économiques audacieuses. La Révolution de Jasmin doit plus son succès initial à une illusion d’optique qu’à la réalité.»
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