Un cardiologue interventionnel pratiquant couramment l’angioplastie coronaire n’est pas un cascadeur. Aussi ne doit-il pas prendre des risques inutiles, avec des conséquences parfois fatales pour le malade. Médecine et narcissisme ne font pas bon ménage…
Par Dr Mounir Hanablia *
Il existe des faits qui en cardiologie aussi peuvent défier l’entendement. Ainsi en est-il de la technique de la tunnelisation dans le traitement des obstructions totales chroniques des artères coronaires. Celle-ci est constituée par la fermeture de l’artère par un caillot issu de la rupture d’une plaque de cholestérol. Au départ mou et friable, facilement mobilisable, il s’est transformé au fil du temps en un bouchon fibreux résistant, et quand après plusieurs mois du calcaire s’y dépose, il devient aussi dur que la paroi d’un mur. Autrement dit, quand il s’agit de le traverser avec un guide en titane ou en polymère, dans une dilatation coronaire, le résultat n’est jamais garanti d’avance, et plus que cela, le guide embroche parfois la paroi de l’artère, occasionnant une hémorragie dans le péricarde, plus ou moins grave selon son abondance. C’est pourquoi le taux d’échecs dans le traitement de ce genre de lésions est élevé.
Contourner l’obstacle
Cela étant, les cardiologues interventionnels, qui veulent toujours repousser plus loin les limites de la technique, ont trouvé une solution pour franchir ces caillots empierrés. Au lieu de creuser à travers le mur comme ils avaient l’habitude de le faire, ils contournent désormais l’obstacle (la plaque calcaire) en passant le guide par un trou dans la paroi de l’artère.
En réalité, abstraction faite des années d’expérience dans la pratique de l’angioplastie coronaire, le simple bon sens suffit à laisser dubitatif.
Quand on sait que la lumière d’une artère coronaire ne dépasse généralement pas 3 millimètres, que sa paroi ne dépasse pas 1 millimètre d’épaisseur, et que le diamètre d’un guide ne fait pas plus de quelques dixièmes de millimètres, on situe déjà l’échelle de grandeur à travers laquelle le médecin opère.
Évidemment, le calcaire étant naturellement opaque aux rayons X, il permet un bon repérage de l’obstacle par rapport au guide, lui-même visible. Mais à supposer qu’on ait réussi à contourner l’obstacle en cheminant dans la paroi, il faut encore trouer de nouveau pour revenir dans la lumière de l’artère. Or rien n’est plus difficile que de faire prendre à un guide préformé un trajet autre que celui qu’il emprunte, et si celui-ci est rectiligne, il n’y a aucune raison qu’il devienne brusquement courbe. Et il faut aussi partir de l’hypothèse que le guide ne prenne pas un autre trajet, celui, fâcheux, vers l’extérieur de l’artère, qui provoquerait un saignement souvent fatal.
Sans vouloir nier que de telles procédures soient parfois possibles, peut-être en usant d’un matériel de radiologie avec des guides beaucoup plus fins de la taille d’un cheveu, des trackers, et un amplificateur de brillance (tube à rayons X) adéquat, elles sont conditionnées certainement par des contraintes techniques et anatomiques rigoureuses.
Ne pas se jeter par la fenêtre
Il faut donc être très prudent lorsque dans les congrès médicaux, y compris internationaux, si tant est qu’on se trouve dans les bonnes grâces des laboratoires pour y accéder, des sommités voulant convaincre de leur caractère surhumain, prétendent voler en se jetant par la fenêtre, et fournissent les statistiques nécessaires pour le prouver.
Un éminent collègue, ex-président de la société savante, affirmait un jour le plus sérieusement du monde la possibilité de glisser un stent serti sur son ballon, entre la paroi d’un stent déployé et celle d’une artère; cela est évidemment possible si on pense faire passer un dé à coudre dans un trou d’aiguille.
La confrérie des cardiologues n’est pas dépourvue de narcissiques (ils se glorifient de leurs procédures en en publiant parfois les vidéos sur facebook), qui prétendent en faire plus et mieux que le commun des mortels et qui n’hésitent pas à prendre des risques inutiles, avec des conséquences parfois fatales pour le malade, qu’on aura évidemment beau jeu de passer par pertes et profits.
En réalité, une occlusion chronique d’une artère ne tue pas, mais elle peut devenir létale lorsqu’on échoue à la reperméabiliser. Il faudrait donc peut-être prendre l’habitude, dans les congrès médicaux, de s’opposer aux cascadeurs.
* Médecin de pratique libre.
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