«Si les musulmans ont construit hier leur islam, ou leurs islams, correspondant à leur culture et à leur époque, pourquoi n’auraient-ils pas aujourd’hui le droit d’en construire un autre qui serait compatible avec l’époque et les valeurs de l’humanisme indispensable à la résolution des problèmes que pose l’islam dans nos sociétés actuelles ?». C’est la question que se pose courageusement une islamologue algérienne dans un nouvel ouvrage.
Par Imed Bahri
Razika Adnani, écrivain, philosophe et islamologue, dont Kapitalis a publié plusieurs articles sur les problématiques de l’islam contemporain, vient de publier un nouvel ouvrage intitulé ‘‘L’impact de l’islam sur l’évolution sociale et politique’’, publié en français et en arabe Fondapol.
Les sociétés musulmanes du Maghreb, comme celles du Machrek, ont connu, entre la seconde moitié du XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle, de profondes réformes sociales et politiques qui leur ont permis de faire un pas important vers la modernité. Mais la dynamique de cette Nahda a connu une interruption avec ce que l’auteure qualifie de «renoncement progressif à ses acquis», notamment dans le domaine de l’égalité et de la liberté.
Le renforcement du conservatisme religieux, qui a marqué l’évolution sociale et politique des pays du Maghreb au cours des cinquante dernières années, les a empêchées de «se libérer de pratiques et de valeurs traditionnelles pesantes». D’où la «réaffirmation du poids de la religion et du passé» qui a empêché l’évolution vers une plus grande liberté.
Le renoncement à la modernisation
L’auteure parle même de «renoncement à la modernisation», où la pratique de l’islam joue un grand rôle, en déterminant «la relation des musulmans à la vérité, à la pensée, à l’autre et au temps», écrit Razika Adnani, qui s’interroge dans cet essai courageux sur les causes de ce renoncement aux acquis de la Nahda et aux valeurs de la modernité et se demande jusqu’où ce renoncement peut-il aller. «Les conséquences de ce renoncement sont préoccupantes, non seulement pour les pays du Maghreb mais aussi pour l’Occident, et plus encore pour les pays où l’islam est une religion importante, tels la France et la Belgique», écrit-elle.
Membre du Conseil d’Orientation de la Fondation de l’Islam de France, membre du conseil scientifique du Centre Civique d’Étude du Fait Religieux (CCEFR), membre du groupe d’analyse de JFC Conseil et Présidente Fondatrice des Journées Internationales de Philosophie d’Alger, Razika Adnani a toujours interrogé, dans ses écrits et ses conférences, le phénomène du retour en arrière dans les sociétés musulmanes, qui sont souvent prêtes à «renoncer à la liberté de conscience afin de protéger davantage la religion», comme si cette religion est menacée.
«Ce phénomène de retour en arrière est la conséquence de la montée de l’islamisme et du traditionalisme, qui concerne tous les pays où l’islam est une religion majoritaire ou importante, y compris en Occident», écrit-elle dans l’introduction de son nouvel ouvrage où elle analyse l’impact de l’islam sur l’évolution politique et sociale des pays musulmans et se demande pourquoi ces pays «n’arrivent-ils pas à sortir des pratiques et des normes ancestrales, à créer le changement et à mener des réformes profondes ? Pourquoi les mouvements de colère populaire dans les pays musulmans débouchent-ils sur davantage de conservatisme religieux et de retour vers le passé ?»
Souligner la part humaine dans l’islam
Les analyses de Razika Adnani tentent de répondre à ces questions en examinant l’évolution politique et sociale dans les trois pays du Maghreb central, l’Algérie, le Maroc et la Tunisie, dont les populations nouent des liens historiques, culturels, géographiques et sentimentaux, liens qui se retrouvent d’ailleurs à l’œuvre parmi les communautés maghrébines en France, en Belgique, en Espagne et en Italie.
«Comprendre l’impact de l’islam sur l’évolution sociale et politique des sociétés maghrébines constitue aussi un élément de compréhension important de son impact sur une bonne partie des sociétés européennes», fait observer Razika Adnani dans ce texte où elle cherche à «expliquer les causes du retour aux traditions et au conservatisme religieux dans le domaine social et politique caractérisant aujourd’hui les sociétés musulmanes, et par cette raison même de plus en plus éloignées, dans le domaine des normes et du comportement, de la modernisation voulue par la Nahda.»
Si la chercheuse établit une distinction conceptuelle entre l’islam inscrit dans le Coran et celui qui existe sous différentes formes dans la réalité humaine et qui est devenu théologie, droit et comportement, c’est pour «souligner la part humaine dans l’islam que les musulmans pratiquent, qui l’empêche d’être parfait ou sacré.» Mais aussi «pour rappeler que, si les musulmans ont construit hier leur islam, ou leurs islams, correspondant à leur culture et à leur époque, pourquoi n’auraient-ils pas aujourd’hui le droit d’en construire un autre qui serait compatible avec l’époque et les valeurs de l’humanisme indispensable à la résolution des problèmes que pose l’islam dans nos sociétés actuelles ?»
Et c’est là, on l’a compris, le parti-pris théorique que l’auteure voudrait voir confronté à la réalité du vécu des musulmans d’aujourd’hui, lesquels seraient bien inspirés de se construire un islam mieux adapté à leurs nouvelles spiritualités et à leurs nouveaux besoins socio-économiques.
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